Il suffit de regarder les églises... Leur haute et massive stature au dessus des troupeaux de toits de tuiles brunies par les intempéries, la froidure des hivers et la canicule des étés. Elles écrasent les villages de leur puissance...
Il suffit de voir les cathédrales, dentelles de pierre, tympans surchargés, clochers clochetons et cloches pour être entendues et respectées. Il suffit de pénétrer dans leur pénombre, ors à profusion, statues et objets cultuels clinquants, pas toujours de bon goût...
Et l'on comprend le poids de cette église là.
Sans remonter au temps de Torquemada , de l'Inquisition, des bûchers, l'église espagnole a toujours voulu jouer un rôle politique et temporel. C'est une église d'évêques gras au milieu d'un peuple famélique, une église qui a systématiquement pris le parti du puissant contre le faible, du riche contre le pauvre.
Et aujourd'hui encore , elle tente d'exercer ce pouvoir moralisateur passéiste et discriminatoire, avec la complicité de la droite. On voit ses facultés à déplacer des foules opposées aux lois sociétales du gouvernement ( homosexualité, avortement), en dépit du fait que plus des deux tiers du peuple ne pratiquent plus. Manifestations énormes à la tête desquelles marchent les ténors du Partido Popular, en particulier l'ancien premier ministre Aznar.
Quelles pressions, en particulier à l'occasion de la dernière loi sur l'avortement, quels reproches n'a t on pas adressés au roi pour avoir signé le texte de loi. Certains même n'ont ils pas murmuré le mot excommunication? Au point que Juan Carlos en personne a dû prendre la plume pour demander au pape d' exiger de ses évêques et de leurs ultras, un peu plus de réserve et de décence..
Il fut une époque où évidemment le balancement lourd des encensoirs s'est confondu avec le cliquetis des sabres, c'est le franquisme. Et il est une ville qui résume cela c'est Tolède, là où l'alcazar monumental et la cathédrale dominent la profonde vallée du Tage comme deux témoins associés de cette histoire.
Une parenthèse pour une remarque amusante : comme pour bien des édifices religieux, l'entrée de la cathédrale de Tolède est payante. « Et si je souhaite y entrer pour prier ? » me direz vous... Hé bien dans son infinie bonté le clergé a tout prévu. Pour les radins qui voudraient prier sans donner les 6€ d'obole obligée, il existe sur le côté une entrée discrète. Mais oh surprise, la porte franchie vous vous trouvez enfermé dans une cage à barreaux, sans doute recyclée de l'ancien jardin des plantes... Oui, je sais, mais que voulez vous, ce détail me fait rire... Les visiteurs payants pourraient emporter des carottes pour les donner à travers les barreaux aux malheureux enfermés là...
Revenons aux heures sombres de Tolède. En 1936, le grand chef de l'église espagnole était le Cardinal Goma y Toma, archevêque de Tolède et primat d'Espagne, qui prit parti avec enthousiasme pour l'insurrection franquiste. Les mots qu'utilisa ce prince de l'église pour justifier la guerre civile, le bombardement de Guernica, les crimes nationalistes font froid dans le dos. Bien entendu il fut suivi par une majorité des évêques et du clergé espagnol qui se rangèrent tres rapidement derrière le général factieux. Le 1er juillet 1937, paraît la lettre collective du clergé espagnol qui apporte son entier soutien à la mutinerie. La lettre bien entendu utilise les crimes commis auparavant contre les prêtre et les attaques d'édifices religieux. Mais elle va plus loin. Bien plus loin. Pour les évêques, la république du front populaire « est contraire à la nature et aux besoins de l'esprit national...les lois laïques sont iniques, ce sont des atteintes à la liberté chrétienne » La guerre est présentée comme une réaction salutaire contre un péril public, comme une croisade sainte contre le communisme.
Le clergé trouvera, on peut l'imaginer une trés grande compréhension auprès du nouveau pape, Pie XII. « Avec une immense joie, « Nous Nous adressons à vous, très chers Fils de la catholique Espagne, pour vous exprimer Nos paternelles félicitations pour le don de la paix et de la victoire par lesquelles Dieu a daigné couronner l'héroïsme chrétien de votre foi et de votre charité » (discours du pape, le 16 Avril 1939).
Tolède c'est aussi la lutte pour l'Alcazar , la résistance du Colonel Moscardo et de ses troupes insurgées, gardes civils, phalangistes, militants d'extrême droite, officiers, 600 femmes et enfants, notables, et aussi otages de gauche... De 2 à 5000 combattants républicains firent pendant deux mois le siège de la forteresse qui devint le symbole de la lutte tant pour les républicains que pour les nationalistes. Toutes les armes dont disposaient les républicains furent employées à sa destruction, canons, chars, mines, bombes... Le propre fils de Moscardo, un adolescent de 17 ans, fut arrêté et le père fut prévenu par téléphone que son enfant serait fusillé s'il ne se rendait pas. Rien n'y fit et le jeune homme fut passé par les armes. On ne faisait pas de quartier, la cruauté était à son comble dans les deux camps.
Le 28 Septembre, le Général franquiste Varela entre dans Tolède à la tête de ses troupes et délivra enfin les assiégés.
En 1940 l'Alcazar reçut la visite d'un invité et ami de marque, Heinrich Himmler.
Heureusement que Tolède abrite aussi le fabuleux tableau du Gréco, l'enterrement du Comte d'Orgaz ! Et quelques très bons restaurants où l'on déguste des perdrix, spécialité locale. Mais j'en parlerai ailleurs.
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