En ce temps là, leurs impériales Majestés se rendirent en visite en Chine. Ce fut un grand voyage en l'Empire du Milieu, au cours duquel Sa Petite Majesté eut l'honneur d'être admis à rencontrer l'énigmatique Jintao, Maître du monde.
L'Empereur avait disait-on changé. Pas de cageot d'oranges pour se hisser à la hauteur de son majestueux hôte.
Tout au contraire. Sa Petite Majesté se tordit devant l'asiatique en une révérence qui lui malmena la colonne vertébrale au point que l'on entendit craquer les os. Mais ce n'était rien face à la révérence qu'accomplit le Duc de Boirleau dont le menton faillit épousseter les chaussures du chinois. Sans doute le Duc voulait il surpasser Sa Majesté en courbettes pour attirer sur sa personne le regard du puissant étranger. Jintao resta impassible face à l'obséquiosité de ses visiteurs, les considérant de haut tandis que son visage fut à peine traversé par l'ombre d'un sourire narquois.
De tels abaissements n'étaient pas de mise en la Chine moderne. Et ils n'eussent pas convenu en l'Empire céleste d'autrefois où il convenait de s'allonger sur le sol aux pieds de l'empereur et de ne point lever les yeux sur Sa Personne, sous peine de mort.
C'eût été un sort douloureux pour le petit empereur et son ministre que d'être condamnés à quelque supplice dont raffolait alors la Chine où l'on disposait en ces temps anciens d'innombrables forêts de bambous que l'on pouvait tailler à sa guise.
Pendant le voyage de son souverain dans l'Orient extrême, l'Empire apprit avec stupéfaction qu'il avait été privé quelque temps auparavant d'un spectacle grandiose. Tout avait été préparé pour des funérailles impériales en grande pompe. Le seul ennui vint de ce que le héros de cette cérémonie avait survécu. Il s'agissait d'un vieux chanteur dont Sa Petite Majesté s'était entichée, prenant ses borborygmes rocailleux pour de la culture. Ce prétendu artiste, mauvais citoyen de surcroît, qui n'avait jamais pu se faire reconnaître ailleurs que dans l'Empire, y gagnait plus que sa vie devant des foules ébahies, mais refusait d'y payer ses impôts. Il s'empressait d'aller dissimuler ses gains loin des regards curieux de ses compatriotes.
Pour Sa Majesté, cependant, qui confondait allègrement fortune et talent, et dont l'inculture lui avait fait bannir la Princesse de Clèves de sa cour , il n'était rien au dessus de ce pousseur de chansonnettes bruyantes.
Pour lui la poésie et la littérature n'étaient rien. Seule comptait la bourse.
Mais voici que le saltimbanque se trouva fort mal sur l'autre rive des Amériques. On craignit pour sa vie. Le souverain imagina alors d'envoyer sa machine volante doublée de cuir de cordoue chercher le corps pour le véhiculer , livré à l'adoration du peuple, le long des Champs Impériaux, recouvert du fanion impérial, et allez savoir, peut être l'aller placer en son Panthéon, parmi les gloires défuntes. Chacun se souvenait du grand poète, gloire nationale qui avait suivi ce chemin là, autrefois, dans le corbillard des pauvres... Hélas! Quelle comparaison entre le médiocre chanteur et l'immense génie. S'imaginait on le corbillard des pauvres pour celui ci?
Il fallait occuper le peuple en ces temps de disette, et rien n'était trop bon pour le détourner du spectacle affligeant et des terribles résultats de la politique tant prônée par Sa Majesté.
Fort heureusement le chanteur ne mourut pas et pour une fois fut utile à son pays en le sauvant du ridicule. Seul son chien défuncta mais le Souverain n'osa pas appliquer à la bête ce qu'il eût fait pour le maître.
Ce vieux chanteur n'était pas le seul, certes, à profiter de l'Empire et de son peuple pour s'enrichir grassement et aller ensuite déposer en quelque coffre secret , au dela des frontières, l'argent gagné. Il existait même en la riante Helvétie un parti de l'empereur, excroissance montagnarde de son grand frère impérial, l'Union des Mauvais Patriotes , assemblage d'émigrés qui veillaient sur leurs écus comme des poules sur leur couvée.
Sa Majesté, un jour fit mine de s'offusquer et menaça d'exiger la levée du secret qui permettait à ces malhonnêtes de ruiner impunément leur pays. Ce n'était qu'une colère stérile, comme un orage sec, destinée à donner un os à ronger au peuple affamé. Des mots, comme à l'accoutumée, qui ne seraient suivis d'aucun effet. Mais cela suffit pour que ces gens là se missent dans de violentes colères, effrayés par la simple idée que cela pusse survenir un jour.. L'un d'entre eux se risqua à agiter une menace à peine voilée , rappelant à l'auguste souverain qu'il avait la mémoire courte et qu'avant de devenir Empereur il avait assidument fréquenté une officine genevoise..
En ces temps troublés, le monde allait mal, mais l'Empire était un délicieux paradis à peine troublé par les chants d'oiseaux, bien à l'abri des vagues et des tempêtes. La duchesse de Lagarde, en charge des finances l'eût juré sur ses grands Dieux, la crise était derrière et pourvu que le brave peuple voulût se donner la peine de se restreindre un peu, beaucoup, passionnément, de renoncer à un confort dans ses vieux jours, de ne point trop vouloir que l'on éduquât ses enfants, tout irait bien. Il suffisait d'attendre.
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