
Si un jour vous venez en Limousin, n'esperez pas être témoin de scènes telles que j'en raconte ici. Ou alors, peut être une fois, avec beaucoup de chance, au fond d'une campagne reculée, au bout de petits chemins vicinaux cahoteux... Sait on jamais... Il existe toujours ce vieux fond d'atavisme.
La preuve, il arrive que les mots d'occitan que j'utilise , bien que francisés, viennent parfois ponctuer la conversation des gens d'ici, parfois inconsciemment, parfois volontairement, voire malicieusement. J'en connais qui sont ravis de pouvoir émailler leurs phrases de ces vocables aussi surprenants qu'expressifs..
Aujourd'hui en Limousin comme ailleurs, les campagnes se sont tues. On n'y entend plus de voix qui s'interpellent, quasiment plus de chants de coqs, plus de roulements d'attelages, plus d'encouragements à ses animaux de trait du laboureur traçant le sillon... Les (rares) paysans sont des exploitants agricoles à la tête d'entreprises informatisées. Il y a comme ailleurs au milieu des champs,des tracteurs rutilants trainantt quelque engin d'épandage de produits toxiques. Le langage occitan n'avait pas prévu le mot « pesticides ».. Même sur le marché que fréquentent Madame Bidou et Madame Chapou, on ne voit plus les vieilles paysannes d'il n'y a pas si longtemps venues vendre deux poulets cou-pelé et quelques chataignes blanchies.
Donc ce que je vous raconte est issu de mes souvenirs d'enfance, Mais je pense qu'ils ne me trahissent pas, et je suis certain de ne pas vous raconter de gnorles... (les gnorles, ce sont des histoires à dormir debout, des contes, des fariboles, des mensonges). Hé, tu me racontes des gnorles là!
Il existait en limousin une devise, venue du fond des temps et qui tenait en un mot: « Maïfio ».
Maîfio, méfie toi, c'était quasiment le premier mot que l'on apprenait aiux enfants. Méfie toi de tout ce que tu ne connais pas, méfie toi des autres. Méfie toi de l'individu qui ne t'est pas familier. C'était une méfiance instinctive. Le Limousin ne savait pas ce que c'était le racisme parce que la télé ,ne le lui avait pas appris et que mis à part quelques immigrés espagnols, italiens ou portugais, voire polonais que l'on désignait par leur origine, on ne voyait pas souvent d'étrangers. Maïfio traduisait donc la peur de l'inconnu et l'absence de confiance en autrui, y compris du reste en son voisin. Il faut dire que le paysan limousin savait très bien débouérer ses affaires, et s'y connaissait à merveille pour vous rouler dans la farine. Dans les années 60 ou 70 , un gouvernement, désireux de relancer la production de la viande bovine avait décidé d'attribuer une prime à la vache et envoyé dans les mairies des questionnaires pour recenser le cheptel. Maïfio! S'ils veulent nous faire dire combien nous avons de vaches, c'est pour le savoir, pensèrent les paysans. Plutôt ne pas toucher leur prime que de leur donner ce renseignement. Et la prime à la vache avait fait fiasco.
Imaginons une scène, un individu bien mis a rangé sa voiture près de l'entrée de la ferme, et s'engage sur le petit chemin qui mène à la cour, en prenant soin de ne pas bouler (enfoncer ses chaussures) dans les ornières pleines d'eau ou dans les bouses de vache.. La fermière qui distribuait le grain aux poules, s'interrompt et porte la main en visière pour voir en se protégeant de la lumière. Le grand chien noir attaché s'est jeté au bout de sa corde en aboyant furieusement. L'autre, le jaune efflanqué, va vers le nouveau venu en trottinant, la queue entre les pattes, l'air sournois et se met à lui «ciner » (flairer) les talons d'une façon inquiétante... Le gamin qui traupeillait dans la boue se réfugie dans les jupons de sa mère. Le père dans le jardin proche a posé sa bêche et regarde la scène.
La fermière s'est mise sur le seuil de sa porte en haut des trois marches disjointes et attend l'homme. Elle se décide enfin à appeler le chien jaune « Aqui, Médor »..L'animal obéit en grognant et quitte à regret sa proie....
Je sais, vous vous demandez ce que veut cet homme de la ville en costume et aux souliers cirés. Hé bien vous ne le saurez pas, parce que je ne le sais pas moi non plus. Vous voyez que vous devenez méfiants vous aussi. Maïfio...
En tous cas l'homme donne des explications et la fermière l'écoute, sur ses gardes. A un moment elle s'adresse au petit toujours dans ses jupes: « Vaï quérir teu paï ». Mais le père arrive déjà, « talin talau » de sa démarche lourde, d'un côté et de l'autre, la casquette à la main. Il essuie d'un revers de manche la sueur qui coule sur son front brûlé par le soleil..
L'homme recommence son explication. Le père écoute, attentif, réfléchit un moment, puis son visage s'éclaire: « Chabatz d'entrar ». Finissez d'entrer. Le sésame. Expression mythique qui veut dire que le limousin vous laisse pénétrer sa maison, son intimité. La porte s'ouvre...
Alors viendra le rite de lo pito goutto , la petite goutte d'eau de vie de prunelle des haies. Autour de laquelle on pourra expliquer le pourquoi et le comment et débuter les négociations.
Mais c'était au temps où les contrôles d'alcoolémie n'existaient pas.
Adichatz

3 commentaires:
Drôle d'effet je me suis revue avec mon pot à lait chercher celui-ci à la ferme tout à côté de notre maison, mangeant quelques mûres au passage, cherchant les papillons ! Aujourd'hui la maison est tjrs là mais la ferme a été rasée le petit chemin et devenue une voie rapide et il n'y a plus de paillions !
I love how you told us : Chabatz of entrar to your world, your culture.. Maybe just past, but while it persists in some souls that spread it, it will never die…
Your words didn’t seem gnorles.. not at all.. Just described how men were open heart enough … the word Maïfio would describe at present much more situations than before..i am sure of that!
Merci beaucoup, mon cher professor.. each time you write this kind of stories, of facts, pieces of Limousin’s feeling stays inside me.. ..
Adiu, adjundrai 'queu ligam sus la lenga limosina
Bonsoir, ce lien
http://taban.canalblog.com/
sur la langue limousine (occitan) éclaireras votre lanterne sur les "Nhòrlas" et les "mefias-te", et surtout sur les raisons qui vous poussent à l'écrire n'importe comment.
Bonne chance pour votre site
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