En ces temps de Pâques, bien loin de remplir sa charge de chanoine auprès de son protecteur le Pape, Sa petite Majesté préféra se rendre au Cap-Nègre pour s'y retirer et y méditer loin des hurlements des foules hostiles qu'elle ne supportait plus.
Il se pouvait aussi que le Souverain s'y livrât à cette passion secrète, ignorée de son peuple, mais qu'il prenait plaisir à exercer en cet endroit. Car à l'instar de son illustre autant qu'infortuné aïeul, le défunt Roi Louis le Seizième, Sa Majesté éprouvait une secrète passion pour l'exercice manuel. Mais lui, ce n'était point aux serrures qu'il consacrait ses loisirs, mais aux égouts. A peine arrivé, il enfilait ses bottes d'égoutier, s'emparait de son matériel à déboucher et à curer et s'enfermait dans les sous-sols. Et cet endroit là, à l'écart de la civilisation, loin des bruits du monde se prêtait parfaitement à cette activité solitaire. Les égouts y étaient en effet désuets, le réseau hors d'âge, de conception archaïque et malpratique. Aussi le Souverain consacrait il la part secrète de sa vie à cette vaste tâche, rénover les égouts du Cap-Nègre..
Peut -être aussi, au fond des égouts, dans l'obscurité propice à la méditation , se répétait-il les mots qu'il avait prononcés devant les autres nègres, ceux d'Afrique, et qui lui avaient valu tant de brocards dont il n'avait pas compris la raison. « Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas entré dans l'histoire » ou encore « le paysan africain,qui depuis des millénaires vit avec les saisons,dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connait que l'éternel recommencement du temps... ». L'Empereur ne voyait pas le mal qu'il y avait à avoir dit cela. Pourquoi l'africain n'avait il pas pris modèle sur nos paysans civilisés qui cultivaient leur maïs transgénique pour le plus grand profit des grandes sociétés modernes, pourquoi attendait il que ses cultures poussent au lieu de les arroser d'engrais et de les asperger de pesticides qui eussent rapporté gros aux actionnaires et aux patrons des mêmes sociétés internationales, pourquoi ne produisait il pas de tomates transparentes en hiver comme le hollandais? Au lieu de tous ces bienfaits du modernisme, le nègre ne connaissait que « la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. »
Tout à l'inverse de Sa majsté, qui ne répétait jamais « réformes », « mérite », « travail » (sans en donner à ceux qui en étaient privés), et surtout « je ».
Le progrès était de ne tenir aucun compte des saisons ,ni du temps qui passe, et surtout d'abandonner cette harmonie stupide et arriérée avec la nature. Le noir n'avait pas compris qu'il fallait laisser de côté toutes ces calembredaines. Un bon grenelle de l'environnement de temps à autre suffisait bien à l'affaire.
Sa Majesté se disait que ces réunions, grenelles ou G20 ou autres sommets comparables où l'on rectifiait en mots les travers du monde et qui n'empêchaient ni la terre de tourner ni les profits de se faire et les profiteurs de profiter, suffisaient bien au bonheur des peuples.
Etait il besoin d'y rajouter les le respect des saisons et l'harmonie avec la nature?
Et l'autre, la Duchesse du Poitou, son ennemie, quelle mouche l'avait piquée d'aller demander pardon aux populations arriérées d'Afrique pour les mots censés et justes que lui, Prince de la civilisation avait prononcés là-bas. Toute la Cour était montée sur ses grands chevaux pour le défendre certes, et la traiter d'irresponsable, d'indigne et de néfaste, essayer de la ridiculiser, de la faire passer pour mystique et folle. Les courtisans zélés n'avaient pas eu de mots assez forts. Jusqu'à un obscur Destrem qui l'avait comparée à sa femme de ménage..
Louis XI l'eût enfermée en son donjon de Loches,
Si encore les propos de la Duchesse du Haut et Bas Poitou eussent été sa seule contrariété. Il eût tot fait de renvoyer l'impertinente à son marais niortais, mais bien d'autres soucis l'accablaient. Ainsi la fronde perpétuelle de ses parlementaires qui se mettaient à faire échouer les lois qui étaient en son désir. Ce prince de Copé le rendrait fou avec ses manoeuvres sournoises .
Voici qu'il lui fallait maintenant se méfier de son propre personnel qui se confondait en courbettes par devant et le trahissait dès qu'il avait le dos tourné.
Savait on ce que pensait l'impassible duc de Fillon qui n'en faisait pas plus qu'il n'en disait?
Heureusement qu'il y avait encore des fidèles. Quelques uns au milieu de ce monde dont il devinait parfois l'hostilité grandissante, comme celle de la populace dont il se tenait soigneusement à l'écart. Le Chevalier de Kouchner, le marquis de Besson étaient de ceux sur lesquels il pouvait s'appuyer et auxquels il sentait bien qu'il pouvait avoir toute confiance. Besson était d'une efficacité remarquable dans la chasse aux immigrés qui eussent bien voulu imposer à l'empire le respect de la nature et des saisons. Il n'y avait fort heureusement aucun risque de traitrise de sa part.
Et puis il y avait le duc d'Aquitaine, Jupé, ce puissant vassal avec qui il allait se réconcilier contre un poste de ministre des finances avant l'été.
Jupé avait promis que plus jamais on ne le verrait revenir aux affaires nationales. Il avait juré aux bourgeois de Bordeaux que s'ils le réélisaient comme Maire, il se contenterait désormais de cet emploi et se consacrerait tout entier à sa ville. Mais il avait tant de fois promis tant de choses... L'homme qui avait essayé de vendre une des plus profitables entreprises de l'Empire pour un écu à une société asiatique en faillite semblait tout désigné pour s'occuper des finances impériales.
Sa Majesté avant de partir pour Cap-Nègre avait publié la liste des récompenses qu'il réservait aux plus méritants de ses sujets.. S'y trouvait le nom de Bolloré, en raison des services rendus à l'empire sous forme de prêts gracieux de véhicules de luxe, dans l'intérêt général.
Ainsi allait l'Empire, en ces temps de pâgues, au Cap-Nègre.
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