Cette lettre est adressée à un vieux
copain de soixante années bientôt, ce qui ne nous rajeunit pas. Si
par hasard ses lectures l'entrainent jusqu'à ces lignes il se
reconnaîtra... Mais au delà de lui, elle s'adresse à mes amis
socialistes avec lesquels il est parfois difficile en ce moment
d'avoir une conversation sur un sujet politique et on comprend
pourquoi. Elle concerne encore certains de mes confrères blogueurs
que j'apprécie mais qui se trompent lourdement s'ils croient qu'il
suffit de salir Mélenchon et de le traîner dans la boue pour sauver
Hollande. Chaque voix détournée du Front de Gauche est perdue pour
la gauche. On en a eu la démonstration très récente dans l'Oise.
Cette lettre exprime donc mes
sentiments et mon inquiétude quant à la situation actuelle et aux
dérives d'une politique qui nous conduit sans doute à beaucoup plus
grave encore.
Mon
vieux pote ! Soixante ans aux prochaines vendanges que nous nous
connaissons, ça fait un bail... Souvent nos vies se sont écartées,
parfois elles nous ont fait nous retrouver. Politiquement aussi nous
avons cheminé différemment.
Toi, tu fus, tu es resté, un militant
fidèle du PS . Moi j'ai erré , jamais encarté, parfois compagnon
de route. Du PC au PSU de ses débuts, celui de gauche, des
rénovateurs communistes au Parti de Gauche j'ai suivi les tentatives
(et les échecs ) de Pierre Juquin, ou de Jean-Pierre Chevènement .
A gauche toujours, mais aussi toujours dans l'opposition. Sur les
boulevards périphériques. Comme dirait une médiocre actrice qui
prétend se lancer en politique : « Je suis un étron
libre ». En commençant par ce mot là, sa carrière future
chez les comiques ne fait aucun doute.
En résumé j'ai suivi des voies mais
je n'ai pas trouvé la mienne. Ma seule ligne de conduite fut de
demeurer à gauche.
Aujourd'hui la ligne
politique du parti de Gauche me convient. J'ai suivi la campagne
présidentielle de Jean-Luc Mélenchon. J'ai assisté à des
meetings. Outre son talent de tribun , son charisme, son sens de la
pédagogie, j'ai trouvé revigorante l'atmosphère de fête
populaire, de fraternité, d'espérance rendue aux gens du peuple.
Chacun ressortait de là gonflé à bloc. Je ne suis pas d'accord
avec certains excès de langage de l'homme , dont je pense qu'ils le
desservent et vont à l'encontre de ce qu'il cherche.
Il n'empêche. A un moment , nous nous
sommes trouvés réunis dans le but de battre Sarkozy. Nous n'avons
pas contribué pour peu à l'élection de Hollande. J'ai voté bien
entendu pour le socialiste au second tour, sans illusion mais sans
état d'âme.
Mais ce qui s'est passé depuis est
pire que ce que j'avais prévu, droitisation, participation au
congrès du Medef, mesures d'austérité qui nulle part ailleurs
n'ont rien donné qu'une aggravation des dettes et la nécessité
d'autres plans d'austérité, une politique sociale qui coupe
totalement les dirigeants des préoccupations des citoyens.
Je me dis souvent que cela doit être
dur pour vous les militants d'expliquer et de justifier même à
votre propre entendement, cette politique calquée sur celle des
prédécesseurs, comme s'il n'y avait rien d'autre à faire...
Que dire ? Evoquer l'héritage ?
Sans doute, mais que ne l'avez vous pas fait plus tôt !
Expliquer que l'amélioration viendra mais qu'il manque du temps ?
Oui mais les gens voient bien la direction prise, celle du mur, celle
de la coupure irrémédiable avec les classes populaires délaissées
depuis longtemps mais aussi avec vos soutiens les plus fidèles,
classes moyennes, fonctionnaires... Le moment venu vous accuserez
Mélenchon comme vous avez accusé Chevènement. Mais il sera trop
tard.
Vous avez ce fâcheux défaut en tant
que grand parti arrogant , d'écraser par des procédés souvent
discutables, ce qui pourrait vous concurrencer et de désigner les
bouc-émissaires de vos défaites. Vous n'êtes pas portés sur vos
propres remises en cause.
Il y a autre chose. Lors de notre
récente discussion autour d'une bonne table, nous avons incidemment
évoqué l'affaire DSK. « Un complot » dis tu. Comme je
n'en sais rien, et que pour moi l 'affaire est close, son
protagoniste politiquement enterré, et que d'ailleurs eût il été
candidat je ne serais pas allé voter pour lui, je n'ai rien à
objecter à cela , si ce n'est une question qui me vient. Un complot
de qui ? Si c'était un complot de droite, avouons qu'il
n'était pas très intelligent.. Mieux aurait valu le laisser se
lancer dans sa campagne et l'abattre en plein vol au plus mauvais
moment pour l'adversaire. Les camarades eux, sachant à quel point il
était vulnérable n'auraient-ils pas eu intérêt à lui rogner les
ailes, avant qu'il ne se lance pour leur revenir en boomerang ?
Ce n'est qu'une question. Là n'est pas le sujet essentiel.
« Il était, as tu ajouté avec
regret, notre plus grand économiste ». J'aurais pu, il se peut
que je l'aie fait, te demander à quel moment il pouvait faire de
l'économie , étant donné la multiplicité de ses activités
annexes.
Cependant je pense que c'est là que
nous différons dans notre appréciation de la politique, là que la
faille existe entre le libéralisme et la conception humaniste. Ce
dont nous crevons, l'envahissement de la politique par la technique.
Un économiste au pouvoir ? Mais pour faire quoi ? D'abord
des économistes nous n'en manquons pas qui viennent pérorer sur nos
écrans pour nous expliquer gravement le tout et son contraire, des
Messieurs savants qui se trompent toujours, des Minc, des Attali...
Quant à déterminer quel est le meilleur... D'ailleurs il y en a qui
disent tout le contraire de ceux que je viens de citer, des prix
Nobel comme Stiglitz, des Généreux, des Larrouturou, des
Economistes Atterrés. Pour quelles raisons donnerait on la parole
exclusivement à ceux-là et jamais à ceux-ci ? Quoi qu'il en
soit , mettre un économiste à la tête de l'Etat c'est confondre
l'instrument et le but de l'action, ce qui ne veut bien entendu pas
dire que l'économie est inutile en tant qu'instrument, chaque chose
à sa place.
La politique s'appuie sur l'humain,
l'économie au centre des préoccupations tue à force de
dévitaliser.
Si je prends pour exemple la presse :
autrefois un journal était dirigé par un patron de presse qui
connaissait son métier et dont la priorité était d'informer et
d'intéresser ses lecteurs. Aujourd'hui il est le plus souvent sous
les ordres d'un gestionnaire qui a pour but de réduire les coûts
pour produire des bénéfices. Pour ce faire on a réduit le nombre
des journalistes, supprimé les grands reporters, on a standardisé
l'information en utilisant les dépêches d'agence. On a réduit les
coûts certes, mais le journal ne se vend plus.
Dans l'industrie, en réduisant les
salaires , en tirant sur le nombre d'employés sous le prétexte
de.compétitivité, il arrive que les propres salariés ne peuvent
plus acheter l'objet qu'ils fabriquent . On fabrique pour grossir des
stocks d'invendus et quand on a trop fabriqué on licencie. On est
alors tres compétitifs mais d'autres plus loin le sont encore plus.
Tout est à refaire.
Pareil pour les retraites. Il paraît qu'on
ne peut plus les payer. On va donc prendre des mesures
« courageuses » en reculant l'âge de les prendre.
Comme il y a des millions de chômeurs, les postes qui restent
occupés plus longtemps en augmentent le nombre. Qui plus est
l'insécurité sur l'avenir après la vie professionnelle bloque la
consommation. L'équation est évidente : moins de sécurité,
moins de ressources, égale chômage égale moins de rentrées dans
les caisses de l'état égale moins de protection sociale, moins de
services publics égale inquiétude quant à l'avenir et la boucle
est bouclée. On peut recommencer indéfiniment.
On ne peut confier la démocratie ni
aux militaires, ni aux économistes, ni à un seul homme, comme nous
le disions autrefois, te souviens tu ?
Le peuple n'a pas besoin de
professionnels arrogants, ni de chefs. Il a besoin d'hommes de bonne
foi, à son service.
1 commentaire:
Très beau texte.Victimes serviles nous adoptons les modes de pensée et les solutions proposées par ceux là-même qui ont suscité la crise.
Toute remise en question de ce système ne peut être qu'utopie ou populisme.La nouvelle religion libérale trouve ses prédicateurs aussi bien à droite qu'à gauche. N'attendons rien de ceux qui nous gouvernent!
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