Les allemands sont donc partis. A
partir de Septembre 1944, la guerre ne laissait plus entendre que des
rumeurs lointaines, mais ses conséquences pesaient toujours sur la
vie des gens.
A ce sujet d'ailleurs, ce n'est que
beaucoup plus tard , lorsqu'on voulut élargir le pont de la nationale 21, sur la Vienne , dans les années 80, qu'on découvrit qu'il
était miné et que des générations de véhicules avaient risqué
de sauter avec lui.
Frayeur rétrospective pour les belges que dans
les années 50 et 60, dès les vacances venues, on voyait descendre
vers Lourdes en procession immatriculée en rouge sur blanc. Ils ne
savaient pas les risques qu'ils prenaient ! Peut être après
tout que ce miracle aussi est dû à la Vierge.
Mais il y eut des événements bien
plus proches de la libération. Un jour qu'avec mon copain Momo, nous
traînions dans la cour de l'usine, nous vîmes un attroupement sur
la rive opposée. Des gens s'agitaient et criaient, puis il y eut de
brèves explosions, des fumées s'élevèrent, la petite foule se
dispersa quelque peu . Quelques personnes traversèrent le pont
en venant dans notre direction, elles appliquaient toutes leur
mouchoir sur leur visage. De l'autre côté de la rivière, la foule
s'était reconstituée, entourant une petite maison, on entendait
les cris …
Nous y serions bien allés voir, mais
la sortie nous était interdite.
Plus tard je sus qu'on avait utilisé
des gaz lacrymogènes pour faire sortir une fille tondue de chez
elle. Des femmes tondues, il y en eut d'autres. A Limoges, on les
promena dans les rues, le crâne orné de croix gammées. A vrai
dire mis à part l'attitude Moyenâgeuse de la foule qui trouvait à
cette pratique barbare un prétexte de fête, la plupart des gens
restèrent comme indifférents à cela.
Je n'ai pas le moindre
souvenir d'avoir entendu des commentaires à ce sujet autour de moi.
Mais je n'étais pas toujours là à écouter les conversations des
adultes.
Ces femmes payèrent ainsi un amour
interdit, alors que l'Etat avait prôné pendant quatre ans la
collaboration. Mais la colère était si grande, et il y avait eu
Oradour... Ce qui explique sans excuser ces actes archaïques.
Un matin mon copain Pierrot, que son
grand père conduisait à l'école, et qui venait de la rive droite,
la partie de la ville que les Aixois appellent « Outre-Vienne »,
dénomination qui doit dater du Moyen-Age aussi, me raconta qu'ils
avaient vu sur le pont des hommes qui en tenaient un autre au bout
d'une corde et qui le trempaient dans l'eau et le ressortaient. Vrai,
faux ? Pierrot racontait parfois des histoires bizarres. Mais
l'époque était tellement troublée...
Un autre jour, nous étions chez ma
grand-mère paternelle à l'Aiguille. Je jouais sur le perron. Quatre
hommes armés passèrent sur la route . Ils en encadraient un
cinquième, un vieillard dont j'ai oublié le nom. A notre visite
suivante ma grand-mère nous annonça que le vieil homme avait été
retrouvé fusillé au bord du Boulou .
Ce fut Guingouin qui paya pour toutes
les exactions qui eurent lieu en Limousin au cours de l'épuration,
bien que dès la libération il ait mis en garde et pris des mesures
contre toute vengeance personnelle, toute violence, et toute action
répressive qui n'ait pas été décidée par la justice. Ses ex
amis communistes ne furent pas les derniers à s'acharner sur lui,
rejoints en cela par les magistrats qui l'avaient combattu pendant
la guerre. Il fut même victime fin 1944 d'un grave accident de
voiture, probablement à la suite d'un sabotage de son véhicule.
Des années plus tard, alors qu'il
avait repris dans l'Aube son métier d'instituteur, il fut convoqué
au tribunal de Tulle en décembre 1953, où il fut arrêté,
incarcéré à la prison de Brive et torturé.
Mais évidemment tout cela je l'ai lu
beaucoup plus tard.
Je ne me souviens pas des jouets que
j'ai eus pour Noël 1944, et je ne sais pas non plus si l'hiver fut
rude ou clément.
1945 commença, et nous commençâmes à
attendre le retour de mon père.
De ce retour, je ne me rappelle rien.
Je sais juste qu'un matin il fut là. Je ne sais plus si nous avons
fait la fête, s'il y eut un repas chez le Tonton et la Tata comme on
peut le penser.
Je ne connaissais mon père qu'en
photo. Mais il était beaucoup plus maigre que sur les photos. Il
avait ramené en tout et pour tout de son séjour en Allemagne une
valise en bois à moitié pleine de biscuits durs comme du fer que je
m'obstinais à croquer.
Maintenant je sais que mon père
portait le syndrome du prisonnier, cette espèce de honte confuse ,
d'amertume de la défaite, qui avait envahi les perdants. Au
contraire du Tonton qui m'avait raconté sa guerre de 14 en long en
large et en travers, il fallut que je lui arrache, au fil des années
les quelques mots que je sus de la sienne.
Il avait été capturé près de
Montmédy avec ceux de son groupe, alors que perdus, coupés de leur
unité, ils essayaient d'échapper à la nasse qui se refermait sur
eux. Où qu'ils veuillent aller, les allemands y étaient., et ils
finirent par leur tomber dans les pattes sans avoir tiré un seul
coup de feu. Le soir ils étaient des milliers regroupés dans un
champ.
Durant toutes ces années au Stalag
XIb, il dut travailler dans une usine consacrée à la fabrication
de moteurs d'avions, sous surveillance SS. Menaces et maltraitances
ne manquèrent point mais de cela il ne voulut jamais en dire plus.
E sus aussi que lui et quelques une de
ses compagnons de misère avaient passé les dernières semaines à
fuir les bombardements alliés, se nourrissant de légumes crus,
déterrés dans les champs, se dissimulant de leur mieux jusqu'à ce
qu'ils rencontrent enfin les troupes américaines.
Une grosse voisine lui dit un jour :
« Oh vous les prisonniers vous n'avez pas à vous plaindre,
vous, avez été « envezés », traités comme des coqs
en pâte... » Il n'avait pas répondu.
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