L' histoire de Saint-Martial, premier évêque de Limoges, apôtre du christ, que je vous ai narrée à ma dernière livraison était un peu exagérée j'en conviens. Mais je dénie toute responsabilité dans ce récit mensonger. Je n'ai rien inventé, je me suis contenté de rapporter, comme notre brave presse a rapporté fidèlement les mensonges de Bush et de Blair à propos de Sadam Hussein. Les armes de destruction massive, les usines nucléaires souterraines, les sosies, tout cela aujourd'hui on le sait c'était mensonge. Et nous en gobons bien d'autres tous les jours.
Saint Martial nous montre simplement que l'art du mensonge ne date pas d'aujourd'hui. L'important est que certains y croient.
Et Limoges, qui s'est inventée beaucoup plus tard un général napoléonien bardé de victoires prestigieuses, né au port du Naveix, et pour finir époux d'une duchesse du Wurtenberg, pouvait bien avoir forcé un peu sur les mérites de son Saint-Martial.
Revenons donc à notre Saint Martial pour essayer de rétablir un peu la vérité.
C'est seulement au IIIe Siècle, que le Pape de l'époque se décida à envoyer quelqu'un pour essayer d'évangéliser les sauvages que nous sommes, ce qui laissait finalement peu de chances au pauvre Martial d'avoir fréquenté Jésus. Le Martial en question, probablement venu d'Orient arriva donc un beau jour en Limousin où il prêcha et installa un lieu de culte. Evidemment, comme l'on fait les notables de l'Eglise tout au long de l'histoire, c'est aux plus riches familles qu'il semble s'être intéressé. Il alla rarement crotter ses petits souliers dans les campagnes où d'ailleurs on ne comprenait sans doute rien à son baragouin.
Le Limousin profond continua encore pas mal de temps (a-t-il d'ailleurs jamais cessé?) à se taper sur la figure entre villages voisins, à se saoûler à l'hydromel (on a dû passer à la tequila aujourd'hui), à adorer le soleil, la lune et l'eau des sources et des fontaines, à trembler devant l'orage et les vipères, et à forniquer dans les fourrés en dépit de tous les risques encourus.
Quand Saint Martial fut mort, on lui construisit un monument au coin du vieux cimetière de la Via Agrippa et quelques prêtres furent détachés par l'évêché pour prendre soin de l'édifice. Et on lui prit la tête pour la mettre dans un reliquaire. En Limousin on ne conserve pas grand chose, mais on fait une collection de « boucis » ( morceaux) de saints. On ne sait jamais, ça peut servir.
Attendez la suite.
Un culte se développa alors. Les voyageurs qui passaient par la ville, surtout les évêques comme ses collègues Sidoine Appollinaire et Grégoire de Tours, venaient lui faire une petite visite et comme ces gens là écrivaient, ils ont été les premiers à révéler son existence.
Et comme le culte avait du succès et s'avérait rentable, en 848, le Roi de France décréta la création de l'Abbaye, qui fut donc construite au dessus du tombeau, place de la République, entre Monoprix et les galeries Lafayette.
Début de l'Abbaye saint Martial, qui pendant six ou sept siècles, jusqu'à son déclin, devait être un lieu phare de la culture, de l'art, des techniques de l'occident et du monde chrétien. Sa prestigieuse bibliothèque manuscrits enluminures) est aujourd'hui conservée à la BNF. Ses émaux sont dispersés dans quantité de musées (Vatican, Ermitage, Cluny,) et constituent l' « Oeuvre de Limoges. » Elle brillait aussi dans le domaine musical. On y a retrouvé la transcription des premiers chants carolingiens, et elle est à la base de l'évolution de la musique polyphonique du Moyen -Age.
L'occasion se présenta pour que Martial prouve enfin sa compétence de Saint, avec une épidémie terrible de « mal des ardents » (maladie due à l'ergot de seigle) qui en 994 ravagea le Limousin et l'Aquitaine, faisant 40000 victimes... Que faire ? En catastrophe, on réunit tous les évêques de la région et on alla chercher la tête de saint Martial pour la promener dans les rues. L'épidémie cessa. Bien entendu aujourd'hui les laboratoires pharmaceutiques protesteraient.
Saint Martial y gagna un surcroît de popularité et ce furent les premières Ostensions. Depuis, tous les sept ans on exhibe au public la tête du Saint et pour faire bon poids, on y ajoute les morceaux des autres saints de la région, ce qui fait du monde.
Depuis un certain temps déjà certains avaient prétendu que Saint Martial était disciple du Christ, or le monastère manquait d'un patron illustre pour rivaliser avec Compostelle qui s'était attribuée Saint Jacques, et Angély où avait miraculeusement roulé la tête de saint Jean.
Le père abbé se grattait la tonsure... Martial, apôtre, oui bien sûr ça ferait une pub terrible. Mais il fallait en apporter la preuve. Alors il eut l'idée d'appeler à la rescousse un moine spécialiste des manuscrits et pas trop regardant sur la déontologie. Voici pourquoi on vit un beau jour arriver à Limoges Frère Adémar de Chabannes avec ses gommes et son blanco. On lui expliqua la situation et il se mit à l'ouvrage.
Quelque temps plus tard et miraculeusement Saint Martial fit son apparition dans de vieux grimoires traitant de la vie du Christ. Des ouvrages narraient les fabuleux miracles que j'ai déjà racontés. Adémar se décarcassa pour faire passer ses élucubrations, malgré le prieur de Cluse qui s'opposait à lui et à ses falsifications grossières.
En 1031, ce fut enfin la gloire. Un concile regroupant des ecclésiastiques et des princes venus de toute la France, reconnut l'apostilicité de Martial à partir des documents quelque peu trafiqués qu'on lui présenta . Les gens d'église étaient naïfs en ce temps là ! Et le plus fort, est que la supercherie devait durer jusqu'au XIXe Siècle.
Voici donc l'explication de la légende de Saint Martial.
Aujourd'hui il ne reste plus de traces de la splendeur passée de l'abbaye Saint Martial. Ah si, j'allais oublier, au coin de l'horrible place de la République quelques marches, comme une entrée de pissotière souterraine, mènent à la crypte de saint Martial. Pour un soi-disant apôtre, l'endroit manque un peu de grandeur et peut surprendre le visiteur. Mais bon pour le conserver il a certainement fallu rogner sur quelques places de parking...
Cette histoire commence de façon plus banale que ne l'indique la légende et se termine plus que médiocrement dans un triste parking souterrain des années 60. Heureusement, entre son début et sa fin, elle a éclairé le Moyen-Age d'art et de culture.
1 commentaire:
Nous avons un peu de difficulté à souscrire le rss, en tout cas, j'ai marqué ce livre excellent site, est très utile, plus remplie d'informations.
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