La nouvelle éclata juste avant la fenaison...
Savez vous ce que c'est que faner? Il faut que je vous l'explique. Faner est la plus jolie chose au monde, c'est retourner du foin en batifolant dans une prairie; dès qu'on en sait tant on sait faner. Mais avant de faner encore faut il faucher, et de cela les gens qui nous gouvernent ne se sont point privés.
Bref. La fenaison se trouva gâtée par l'annonce: Sa Majesté avait décidé de changer de gouvernement. Aussitôt les courtisans laissèrent de côté fourches et râteaux pour aller s'enquérir des nouvelles. On fit courir les rumeurs les plus folles. Toute la Cour se mit à bruisser d'une seule interrogation: « En serai-je? N'en serai-je point? » Chacun évaluait ses chances à l'aune de ses mérites qu'il jugeait grands. Chacun inventait mille courbettes, mille bassesses pour plaire à sa Majesté. Chacun inventait mille crocs en jambes pour faire chuter le concurrent.
Il en est qui se sentaient en danger faute d'être bien en cour. « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes? » se disaient ils tout bas.
Puis le temps passa. Des foins on en vint aux moissons. On eût pu voir autrefois dans les chaumes de pauvres femmes et des enfants pieds nus en guenilles, tenter de glaner les derniers épis. Il n'en était pas de même en ces temps qui se voulaient modernes, et pourtant, l'Empire comptait deux millions d'enfants pauvres sous le règne de sa Toute Petite Insuffisance Talonnette, et grâce aux merveilleuses et humanistes lois de ce petit prince, ami des riches, ce nombre n'était pas menacé de décroître. Nul à la Cour n'en souffrait, ni n'en éprouvait de la honte, ni même n'en n'avait cure. Les seuls soucis , les seules questions étaient dans le changement de ministres.
Cet été là les chasses impériales ne furent pas très fécondes. La chasse aux romanichels comme celle aux immigrés ne donnèrent pas les résultats espérés.
Sa Majesté connut plus de réussite dans la chasse aux retraites où il excellait, comme le Duc de Fillon, son Premier Ministre et le Baron de Woerth. Ce dernier chassait les retraites dans un grand fracas de casseroles et de ferblanterie. Savez vous ce que c'est de chasser les retraites? Il s'agit, en batifolant, de confisquer aux manants tout espoir de finir dignement leur existence quand ils n'auront plus la force d'exercer les durs labeurs de leur servage.
Le peuple descendit dans la rue à cette occasion. Heureusement , les fidèles Thibault et Chérèque veillaient et prirent la tête des mécontents pour les reconduire tranquillement à leurs galetas. Tout ceci se trouva merveilleusement fait.
Les jours s'écoulaient . De temps à autre quelque gazette spéculait sur les changements, la Cour était parfois prise d'un embrasement, mais ce n'était que feu de paille, quelques crépitements d'étincelles, puis les braises se remettaient à sourdement couver sous la cendre.
Aux abords de l'automne les premiers feuillages commencèrent à jaunir, et l'affaire se trouva relancée. Les gazettes soutinrent que le Duc de Fillon était donné partant pour le Marquis de Borloo qui avait la fibre sociale. Cette fibre sociale était une belle invention qui se répandit partout. Chacun prétendait la tenir en lui. Le Marquis, premier surpris mais flatté de cet attribut soudain découvert se rendit chez le barbier et chez le perruquier, fit repasser son pourpoint, repriser ses chausses et cirer ses bottes , car il était par habitude fort négligé et mal attifé.
Il suffit de quelques sourires entendus de sa Majesté au Marquis, de quelque flatterie prononcée pour que la chose parût faite et que la Cour se rendît à Borloo.
Ce n'était pas l'avis du Duc de Fillon qui n'avait senti germer en lui nulle fibre sociale, mais qui ne voulait point céder sa place et qui écrasa le Marquis de ses sarcasmes et de son mépris. La bataille entre eux devint féroce et il fallut bien que l'Empereur se résigne à trancher.
L'impatience des courtisans allait à son comble, car le désir s'accroit quand l'effet se recule.
La cour s'attendait à des bouleversements, à des chambardements, à un puissant tremblement de terre. Ceux qui n'espéraient pas tremblaient , et ceux qui ne tremblaient pas espéraient.
Certains tentaient encore de jouer leur carte. Ainsi Bockel qui avait été opposant puis s'était vendu à Sa Majesté, ressortit pour plaire au prince la vieille lune de la délinquance inscrite au front de l'enfant de trois ans, selon laquelle il suffisait de regarder le bambin au fond des yeux pour y lire ses crimes futurs. Que n'eût on dit pour plaire et pour infléchir la décision de sa Majesté?
Même le Baron Woerth essaya de survivre en disant son désir de continuer à exercer son honnêteté dans le nouveau gouvernement, ce qui fit rire tout le monde... Certains juges à force de rire en firent tomber leur toque de soie …
Enfin le moment vint, où, au bout d'une demi année, le Comte de Guéant sortit sur le perron du palais impérial pour y lire la liste des bienheureux désignés par Sa Majesté. On fit de ce moment toute une cérémonie, comme s'il eût concerné et intéressé le peuple.
Le duc de Fillon demeurait en place, tandis que le Marquis de Borloo, vaincu, se retirait en son hôtel pour y ruminer sa vengeance et y soigner sa fibre sociale.
Il y eut peu de changements en fait. On écarta tous ceux qui n'appartenaient pas strictement au parti impérial...Ceux du centre qui avaient toujours un pied dedans et un pied dehors, comme le comte de Morin mais fut écarté aussi le marquis d'Estrosi, pas trop déluré, mais si fidèle et totalement dévoué à son maître..Le souverain était certain de pouvoir ramener tout ce monde au premier claquement du doigt, pourvu qu'on leur promît quelque chose.
Sa Petite majesté rejeta aussi les traitres autrefois enlevés à l'opposition. Le vieux baron de Kouchner qui était remplacé aux affaires extérieures par la rigide duchesse de Mam en finit en beauté avec le Conseil Impérial en déclarant qu'il fallait venir en aide aux crétins d'Orient. Comme il s'agissait de la dernière phrase qu'il eût à prononcer en cet auguste endroit, personne ne releva l'erreur qui lui avait fait fourcher la langue au moment de prononcer « chrétiens ».
Seul parmi les transfuges, le traitre Besson trouva grâce. Mais il était traître jusqu'au bout des ongles. C'était le traitre le plus accompli que l'on eût vu, et il y mettait une telle constance que cela devenait fidélité à la traitrise. Il était une sorte de traître parfait.
La jeune Yade se vit reprocher son impertinence et fut aussi renvoyée. Sans doute n'avait elle point assez aimé Sa Majesté... il en disparut d'autres dont on ignorait jusqu'à l'existence.
Et le Duc de Juppé fit son retour. Ce personnage arrogant et rigide avait déclaré quelque temps auparavant aux gens de sa ville que s'ils voulaient bien l'élire maire, il ne les quitterait plus, qu'au demeurant la grande politique lui était désormais étrangère et qu'il jurait sur tous les Dieux de l'Olympe qu'il ne se consacrerait plus qu'à eux désormais... Serments de Juppé.
D’aucuns pensèrent qu’un certain Mercier que personne ne connaissait avait été appelé pour être Garde des Sceaux. Les gazetiers se précipitèrent pour lui demander qui il était et d’où il venait… Quelle ne fut pas la surprise générale lorsqu’on apprit que cet inconnu était ministre depuis plus de deux ans. sans que personne ne le sût. Voici un bel exemple de discrétion bien récompensée.
Chose comique, le lendemain du jour où le baron de Woerth fut évincé du gouvernement, la justice mit la main au collet de cet homme intègre... Etrange coïncidence, n'est il point?
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