Le temps des élections approchant, l'opposition fit mine de se réveiller de son long sommeil léthargique, s'ébroua quelque peu et demanda à connaître l'utilisation que Sa Petite Majesté faisait des deniers de ses Sujets. Le Prince, sa courtisanerie et son parti majoritaire crièrent aussitôt à l'outrecuidance, à l'insolence et à l'indiscrétion. Que nenni! Il n'était point question que l'on susse rien de la façon dont Sa Majesté utilisait le trésor de l'Empire qui était le sien. Il en faisait le meilleur usage, que l'on se le tienne pour dit!
Etait-ce sa faute si l'industrie s'en allait, si, après avoir reçu de lui moultes coffres chargés d'or et de ducats pour ne point partir, le principal manufacturier de coches, landaus, calèches et chaises à porteurs allait fabriquer chez les turcs ?
Sa Majesté courroucée, le sourcil froncé, agitée de ses tics accentués par la colère, avait reçu le fautif pour l'admonester. L'autre avait juré ses grands dieux qu'il continuerait à fabriquer les moyeux des roues sur le territoire de l'Empire.
L'Empereur s'était montré satisfait de cette promesse. Toute la cour s'était extasiée devant une aussi belle réussite , tant de talent et une aussi grande diplomatie.
Il n'était pas non plus responsable du fait qu'au bout de deux ans de son règne, il fallût démanteler des lignes de chemins de fer qui n'étaient pas rentables. On n'était plus au temps où l'objet des transports impériaux était de véhiculer des voyageurs. Aujourd'hui il fallait que tout cela rapporte de l'argent, beaucoup d'argent, pour payer grassement les actionnaires et les responsables des compagnies. Du déplacement des manants, on n'avait cure. Quelques années de plus et tout le monde irait à pied comme au bon vieux temps.
Cependant le remue ménage du parti d'opposition que dirigeait la baronne Aubry de Lille ne portait pas sur cela, mais sur les quantités pharamineuses d'argent que sa Majesté dépensait en sondages.
L'Empereur s'était pris d'une maladie de dépendance irrépressible vis à vis de ces sondages qui étaient la dernière forme à la mode d'art divinatoire. Tout aussi vrais que l'astrologie, ils présentaient cet avantage que l'on en pouvait faire modifier à son gré les résultats.
Ainsi Sa Petite Majesté, en équilibre sur ses plus hautes talonnettes, pouvait elle se contempler chaque matin dans son miroir, et le miroir trafiqué lui annonçait qu'il était le plus beau, le plus intelligent, le plus aimé de tous les souverains de la terre, que nul ne lui arrivait à la cheville , et surtout aucun des opposants qui eussent désiré devenir califes à sa place.
Des escouades de courriers enfourchaient ensuite leurs montures pour aller faire part de ces merveilleux résultats aux gazettes les mieux disposées et aux figaros les plus bavards afin que les extraordinaires nouvelles fussent connues dans l'heure.
Les nouvelles couraient les rues, les routes, escaladaient les collines et les montagnes de bourg en bourg, mais rencontraient surtout les visages étonnés d'un peuple qui souffrait et croyait de moins en moins à ces balivernes,
C'est que, tapis derrière le miroir, s'agitaient, aux ordres d'un individu aux opinions douteuses, des manipulateurs en questionnements et en réponses.
Tout cela coûtait fort cher, mais rien n'était trop beau pour satisfaire Sa Majesté. Heureusement tout le parti de la Cour s'organisa pour qu'il fût interdit aux trop curieux de mettre leurs nez dans les affaires impériales.
Le Souverain avait bien besoin de résultats pour lui remonter le moral. Un tremblement de terre cataclysmique ayant dévasté une île des Caraïbes, il s'était empressé pour organiser les se cours dans le monde. Mais pendant qu'il prévoyait une lointaine réunion sous son égide, le grand noir d'Amérique envoyait ses secours, prenait la tête de l'aide, s'imposait sans prendre conseil ni tenir compte de lui, pas plus que s'il n'existait pas. Cette indifférence confinait au mépris.
Ici même, Sa Petite Majesté avait fait nommer à la présidence de la société de l'éclairage, le Marquis de Proglio qui se trouvait déjà à la tête d'une autre société de transports par diligences privées, et négoce de l'eau. Ce Marquis semblait fort en grâce puisqu'on lui permettait d'exercer à la fois ses deux activités, et d'être payé fort cher pour les deux.
On lui apporterait chaque année une cassette d'or équivalente à ce que gagnaient cent soixante dix de ses employés, sans parler d'autres faveurs et gratifications. Le scandale enfla, au moment où on racontait au peuple qu'il fallait qu'il se restreigne encore car les caisses étaient vides. Il en fut même qui s'en émurent jusqu'au sein de la Cour.
Malgré la Défense du Baron de Meaux, qui cumulait de nombreux emplois et n'y trouvait rien à redire, et qui osa déclarer en plus, car ce baron bien que de Meaux n'était pas un aigle bien qu'il sût fort bien défendre son fromage, que tant d'argent n'était pas donné pour rien et qu'il fallait pour cela travailler bien plus de trente cinq heures par jour.
La colère enfla si bien que le Marquis de Proglio dut renoncer à la plus petite de ses bourses ce qui n'a pas été suffisant à ce jour pour enterrer les critiques.
L'histoire rappelle quelque peu celle de l'Aiglon qui a déjà été narrée ici même et qui s'est achevée dans la défaite princière. Elle témoigne de la suffisance du Souverain et du mépris qu'il affiche envers son peuple. Sans doute se fie-t-il au miroir trompeur de ses sondages, à qui il est pourtant de plus en plus difficile de faire accroire que ses sujets le tiennent encore en affection.
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