L'Empereur avait fait un rêve .
Il s'était vu, foulant le sable d'un rivage où des années auparavant la grande armée des alliés, Anglois, Américains, Canadiens, Australiens et d'autres avaient débarqué par un pluvieux matin du mois de Juin, pour libérer l'Europe envahie par la peste brune, à commencer par ce pays qui aujourd'hui était devenu l'Empire.
Près de lui grand et plein de distinction marchait le président noir des Etats Unis d'Amérique. Ils étaient seuls et marchaient côte à côte, tandis que les vagues venaient mourir à leurs pieds. Ils étaient seuls exception faite bien sur de tous les objectifs des appareils photographiques et des machines à filmer braqués sur eux,immortalisant leurs pas pour l’édification des peuples du monde.
L'instant était plein de grandeur et d'émotion, et ferait pleurer jusqu'au fond des cases africaines, là où l'homme, prisonnier des saisons ne connait que l'éternel recommencement du temps, rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles .
Il eut fallu le couchant pour donner encore plus d'ampleur à la scène, leurs deux silhouettes se découpant sur l'incendie crépusculaire, et l'astre du jour flamboyant , s'enfonçant dans la mer pour laisser place à l'immensité des deux génies politiques confondus.
Sa Majesté s'éveilla. L'Impératrice Carlita dormait à ses côtés. Le Souverain se remonta un peu sur l'oreiller et se mit à réfléchir à la scène qu'il venait de vivre en rêve. Ce rêve, il fallait qu'il se réalise. Ainsi en décida le Prince.
Dès le matin, il réunit tous ses conseillers et leur expliqua quelle était sa volonté. Tous acquiescèrent révérencieusement. Il n'était pas question que l'un d'entre eux se risquât à lui faire remarquer qu'il y a des différences entre le rêve et la réalité.
Tout au plus lui fit on remarquer que le débarquement allié ayant eu lieu le matin, il ne serait pas facile à moins d'un grand trucage très onéreux, de placer le soleil en position de crépuscule afin que les deux silhouettes se détachassent sur son flamboiement. Déçu de cette remarque, il s'agita et gesticula selon son habitude. Ce n'était certes pas le prix qui l'effrayait, mais il finit par convenir que la scène ainsi corrigée y perdrait en crédibilité.
Faire venir l'américain ne posait pas problème. Ces grands enfants adorent les anniversaires surtout ceux qui les mettent en valeur, et celui ci serait bien aise qu'on l'invitât.
Sa petite Majesté se souvint tout à coup que dans son rêve, les deux hommes d'état marchaient dans le sable, épaule contre épaule en réglant le sort du monde. Dans la réalité il n'en allait hélas pas de même et il faudrait bien trouver un expédient qui les mît à la même hauteur. Il se souvint que lors de sa rencontre avec le président précédent, il s'était juché sur une caisse pour faire bonne figure. Cette fois ce serait plus difficile. Mais les conseillers trouveraient bien un moyen pour le grandir. Peut être pourrait on faire cheminer l'américain dans une petite tranchée, alors que pour Sa Majesté on construirait un muret habilement dissimulé par le sable..
Tout semblait ainsi réglé, et la conférence des sommets de l'univers prenait corps....
Lorsqu'un matin, un conseiller très énervé entra dans le cabinet de travail de l'Empereur, brandissant une de ces feuilles de chou dont la perfide Albion fait son quotidien, et qui ne cessent de chercher le ver dans le fruit des voisins... « Majesté, Majesté, nous avons oublié la Reine, s'exclama le conseiller... - Je n'ai rien oublié du tout rétorqua Sa Majesté. Que veux tu que nous fassions, nous les deux grands du monde, de ce pot à tabac au chapeau ridicule entre nous? Faut il lui faire édifier une passerelle encore plus haute que la mienne pour son déplacement dans le sable? Je n'ai pas envie que son affreux galure rose cache mon visage et qu'on ne me voie plus sur les images des journaux du monde. Je veux être seul avec l'américain. Personne d'autre ne l'approchera. Et quoi, la Reine? Et pourquoi pas l'allemande, et les chinois, et le russe? Ca ne va pas non? Je veux que mon peuple m'admire en tête à tête. Il a beau être inexpérimenté et naïf et ne pas tout comprendre aux affaires, il sera mon seul interlocuteur. Personne d'autre! La Reine, la Reine, et quoi encore?
Mais voilà que l'affaire commença à s'enfler et à parcourir le monde en faisant grand bruit. Il n'était question partout que de la muflerie du petit homme et de l'offense faite à Sa Gracieuse Majesté. Le royaume d'Albion avait été protagoniste des combats à l'égal et même au-delà des Etats-Unis d'Amérique, et ses soldats étaient morts en grand nombre pour la libération du continent.
Sa Gracieuse Majesté déclara elle même qu'elle ne se vexait point de l'offense, venant de qui elle venait , ce qui était une délicate façon de dire qu'elle n'attendait pas mieux du petit homme.
Celui ci se trouva bientôt contraint de chercher à réparer sa faute. Mais la réparation ajouta encore à l'injure, lorsqu'un incertain sous-ministre, vint expliquer que la reine d'Angleterre n'était pas conviée et que la cérémonie ne la concernait pas, mais que néanmoins, si elle tenait à s'imposer elle serait traitée avec tous les honneurs dus à son rang.
Finalement ce fut le président américain lui même, qui, bien qu'il ne fût pas maître de cérémonie, finit par s'émouvoir de l'incident et demanda à ce que l'anglois fût convié à ses côtés. Il était difficile de ne pas accéder à son désir au risque que tout fût annulé et que le petit empereur se retrouvât seul dans le sable.
On entama donc d'autres discussions, et finalement, pour tout apaiser, ce fut le Prince de Galles, éternel héritier de la couronne qui fut désigné pour représenter son royaume et les combattants de l'empire britannique. Il marcherait en léger retrait des deux grands et n'aurait pas droit à la parole.
Le problème se trouva donc réglé, mais le petit empereur gesticulant s'y attira encore du mépris et de l'inimitié ce à quoi il était habitué. Il n'y aurait bientôt plus aucun pays et aucun Chef d'Etat dans le monde qui le regardât sans colère, sans moquerie ou sans dédain.
Il n'était plus que les gazettes impériales pour chanter ses louanges et les courtisans pour s'esbaudir de ses exploits.
1 commentaire:
Mais nombre de citoyens ayant par dépit et par rejet du freluquet jeté leur dévolu sur le Prince Noir en arrivèrent à le boycotter lui aussi.Ils se refusaient à en admirer un, contraints qu'ils étaient à se coltiner l'autre...
Enregistrer un commentaire