Gamin, pendant les congés scolaires j'accompagnais souvent mon père dans les fermes où il allait acheter les animaux pour la boucherie familiale.
C'était , dans les années 1950, ça fait un bail, le temps de grand chambardement rural, de la désertification des campagnes, l'époque où Farrebique n'allait pas tarder à se muer en Biquefarre....
Peu avant le remembrement, quelques années avant que Ferrat ne chante : « pourtant que la montagne est belle »..
Un autre temps, un temps marqué par une ruralité ancienne qui peu à peu allait céder la place à un monde nouveau. Le temps où la campagne parlait encore occitan mais où les petits enfants des paysans fréquentaient déjà le lycée, pour une vie meilleure.
Et quand on parle aujourd'hui de condition féminine, me reviennent en mémoire des femmes de cette époque là.
Un temps où tout n'était pas si simple...
Elles s'appelaient Cathie, Germaine, Marie, Nétou, ces silhouettes de l'âtre, immanquablement vêtues de tabliers dans des tons de gris ou de noir. Si Germaine était ronde , moustachue et joviale, Nétou au fil des saisons s'était rapetissée, cassée en deux par les travaux de la campagne, Cathie et Marie: deux grandes femmes sèches , droites et austères, dont on avait de la peine à imaginer qu'un sourire eût un jour animé leurs lèvres et leur regard.
Elles avaient ceci de commun qu'elles étaient là, silencieuses, plantées au coin de la cheminée, près du toupi où mitonnait soit la soupe, la « bréjaude », soit la « bacade » des porcs.
Leur responsabilité c'était la maison et les activités annexes de la ferme. La volaille, les oeufs, le fromage. Parfois le lait.. Avec le temps elles avaient acquis à l'ancienneté leur titre de « femme » (le maitre des lieux disait : la femme, « la femna », en parlant d'elles, et ne leur aurait jamais donné une autre appellation. Elles y perdaient un prénom mais y gagnaient une dénomination exclusive et unique).
Sauf pour aller distribuer le grain aux volailles dans la cour, elles ne quittaient guère l'interieur enfumé de la maison. C'étaient les jeunes, le plus souvent les brus qui se chargeaient des travaux extérieurs « soigner » les lapins, ramasser les oeufs, conduire les enfants à l'école, faire les courses au chef-lieu de canton en deux chevaux ou en Renault 4L, et qui parfois accomplissaient quelque activité annexe pour améliorer les revenus du ménage.
C'était bien sûr un monde patriarcal. Personne ne résistait à l'homme, Martial, Julien, Pierre ou Léon. Lorsque celui ci rentrait des champs de sa démarche lourde, accompagné de ses fils, il venait s'assoir à la longue table flanquée de ses bancs, sortait son Opinel et il ne s'agissait pas de la faire attendre. Généralement d'humeur sombre, il pestait contre la soupe pas assez salée, contre le ménage mal fait, contre le temps qui était en train de se gâter... Les femmes s'activaient sans dire mot..
Cependant à y regarder de plus près tout n'était pas aussi clair.
Quand mon père venait, il se rendait d'abord à l'étable, examinait la bête, lui tâtait la croupe. Le fermier le regardait faire, s'efforçant de deviner ses pensées. Ensuite toujours sans un mot, ou en discutant du temps, de la saison qui s'annonçait mauvaise – toujours-, de la récolte fatalement maigre, ils regagnaient la pièce principale. Et prenaient place face à face à la table.
Marie ou Germaine apportait les verres et la bouteille de gros rouge. Parfois c'étaient les verres a liqueur et la « goutte », ou encore le casse-croûte, les grillons, le fromage, la large tourte qu'on attrapait sur le « taulou ».
Un chien hargneux se glissait sous la table, et les chats guettaient du coin de l'oeil guettant l'occasion de chaparder quelques miettes... L'été il y avait encore quelques poules qui entraient en caquetant et les mouches entêtantes et agressives.
Alors mon père annonçait son prix, et le silence se faisait. Le paysan réfléchissait, plissait le regard, puis sans élever la voix, se mettait à parler de vol, d'escroquerie, de ruine, .. et finissait par donner son estimation à lui. La discussion était lancée. Parfois brève, parfois longue, avec des soupirs, des renoncements; il arrivait que l'un ou l'autre quitte sa place, mettant fin à la négociation, que l'autre le rattrape au milieu de la cour. Je n'ai jamais vu, autant que je me souvienne , qu'un marché n'ait pas abouti finalement. Mais parfois le suspense était pesant!
Enfin les adversaires topaient là, les verres se trouvaient à nouveau remplis pour sceller l'accord.
Pendant tout ce temps, la femme « la femna », était restée attentive, dans le coin de l 'âtre, à l'écart des débats. De toutes façons, elle ne s'asseyait jamais à table, mangeait toujours debout, l'écuelle ou l'assiette à la main.
Mais voici que souvent, au moment où les hommes s'accordaient et s'apprêtaient à se toucher la main, la voix de Cathie, de Nétou, de Germaine ou de Marie, pour la première fois se faisait entendre: « co n'é pô prou » (ce n'est pas assez).. Tout était à refaire, et il ne serait jamais venu à l'idée du fermier de passer outre.
Car en fait, dans ce monde patriarcal, le partage des pouvoirs était nettement établi. A l'homme le quotidien, le pratique, le commandement de la maisonnée, les signes extérieurs du pouvoir. A la femme les finances les grandes décisions, l'autorité dans le couple.
La femme de l'âtre effacée et soumise en apparence, pouvait se muer en une furie redoutable, devant qui , à commencer par le patriarche, les autres ne « piataient » pas..
Léon Martial Julien ou Pierre n'en menaient pas large, lorsque les soirs de foire au bourg, ayant dilapidé au bistrot un pourcentage excessif du produit de la vente du veau, affublé en plus d'un joli coup de pied de barrique un peu voyant, il reprenait en « bantant » sur toute la largeur de la route, et à une heure peu compatible avec les horaires du marché, le chemin de la ferme..
L'accueil pouvait être terrible et les représailles durables..
« La femme », cette ombre du foyer savait aussi se faire respecter..
1 commentaire:
Comme tout le monde sait la Mayenne en était pleine ce ces fermes, je me souviens enfant allant chercher le lait c'était la mère Renée qui encaissait nos achats du jour et si elle parlait un peu, quand le père arrivait il y avait d'un seul coup un silence qui me faisait froid dans le dos, en rentrant à la maison je trouvais que ma mère avait bien de la chance !
Bones fêtes de fin d'année toute mon amitié.
Nalou
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