Evidemment mes très jeune années
n'ont pas été marquées par les voyages. Nos plus lointains
déplacements étaient pour rendre visite aux oncles et cousins de
Saint-Brice. Il fallait pour cela aller à la gare et prendre la
« micheline ». La voie tortueuse longeait la Vienne. Sur
place l'oncle ou l'un des cousins nous attendait à la gare avec une
carriole à cheval sur laquelle on me hissait. Je n'aimais pas du
tout cela, d'autant plus que j'entendais souvent raconter autour de
moi des histoires de chevaux qui s'emballaient et précipitaient
l'attelage et les gens dans le fossé. Il y avait parfois des morts.
Les chevaux de l'oncle avaient l'air bien placides avec leurs grosses
fesses et leur tendance à ralentir plutôt qu'à accélérer.
Sait-on jamais !
Il nous arrivait aussi de partir avec
la micheline » dans l'autre sens, en direction de Limoges.
Mais le plus souvent, pour aller à la ville , ou pour rendre visite
à ma grand-mère paternelle à l'Aiguille, c'était le tramway qui
nous emportait.dans ses vibrations, ses couinements dans les virages,
ses hurlements de ferraille lorsqu'il freinait.
C'était tout un poème, ce tramway
départemental. Les rails avaient été posés le long de la
Nationale sans tenir compte des aléas de la circulation (
heureusement rare à l'époque il faut bien le dire). Dans les
virages au dessus du pont de l'Aixette, il allait au plus court,
coupant carrément la route sans prévenir et sans passage à niveau.
On ne comptait plus les cyclistes pris au piège des rails, mais de
temps à autre il arrivait qu'une auto rencontre bien inopinément,
avec pertes et fracas, l'engin ferroviaire.
Je me souviens que lorsque ma
grand-mère nous raccompagnait à l'arrêt , au pont de l'Aiguille ,
ma mère et elle scrutaient les fils. Lorsqu'ils commençaient à
bouger , il était encore à un bon kilomètre. Il mettait près de
trois quarts d'heur pour accomplir les quatorze kilomètres de la
ligne.
C'est en 1951 que le tramway fit son
dernier voyage et fut remplacé par les bus de la Régie
Départementale des Transports.
Jusqu'en 1946, la mer et la montagne ne
furent donc pour moi que des images dans les livres..La mer était
aussi l'objet d'un poème sans doute appris à la maternelle, mais
dont les mots me sont toujours restés :
« J'ai vu la mer
à Saint-Malo,
La grande
mer bleue et profonde,
Rien n'est
aussi beau dans le monde,
Je serai
marin, c'est mon lot... »
Je ne sais de qui est cette œuvre
inoubliable.
Voila donc qu'au début 46 un grand
voyage fut décidé et un car affrété par la boulangère de
Séreilhac. Ici j'ouvre une parenthèse concernant cette boulangère
maîtresse femme flanquée d'un boulanger rachitique, ce qui faisait
d'eux un parfait couple à la Dubout. Je n'ai jamais su pourquoi
j'ai passé toute mon enfance et ma jeunesse à entendre chanter la
gloire du pain de Séreilhac.
Il y avait pourtant à Aixe, ville
autrefois connue pour une spécialité boulangère, la ridorte,
appréciée très loin, une dizaine de boulangers pas plus tartes que
les autres. Mais voilà, il était dit une fois pour toutes qu'il
n'était de bon pain que de Séreilhac. Je ne suis pas certain
qu'aujourd'hui encore il n'existe pas quelque vieil aixois encore
persuadé de cette idée, malgré l'industrialisation de la miche.
Fin de la parenthèse.
Ce premier voyage de ma vie, même si
je n'en eus pas vraiment conscience dut être surprenant étant
donné les souvenirs qu'il m'a laissés, et ceux qui m'ont sans doute
été racontés.
C'est un car brinquebalant gris et
bleu, de l'entreprise Pasquet, qui prit la route chargé de
voyageurs naïfs mais prêts à découvrit le monde.
La route n'était pas difficile à
prendre. Il s'agissait de la Nationale 21 qui part de Limoges et
s'achève à la frontière espagnole près de Gavarnie, à l'époque
véritable chemin de chèvres à la chaussée bombée , qui vit
pendant les année d'après-guerre transhumer des cohortes de Belges
en route pour Lourdes, avec leur numéro d'immatriculation rouge sur
fond blanc. Les après midis d'été nous nous amusions à les
compter.
Nous aussi nous allions à Lourdes.
C'était même l'objet du voyage. Je suppose qu'il était question de
remercier la Vierge pour la fin de la guerre, le retour des
prisonniers et sans doute quelques autres petits miracles propres à
chacun.
Il fallait, je l'imagine, voir la bande
de limousins un peu ahuris par le voyage, secoués par les cahots de
la route.
Nous étions partis pour voir la grotte et y prier … (Au
moins les femmes, car la plupart des hommes étaient de ceux qui
attendaient les convois funèbres au bistrot de la place pendant que
le prêtre célébrait la cérémonie dans l'église).
Et puisqu'il était question de grotte,
il fallait déjà la trouver la fameuse grotte. Justement ça tombait
bien, un type dans la rue arrêtait les promeneurs pour leur donner
des prospectus. Il y était question d'une « Grotte du Loup »
. La description ne correspondait pas tout à fait à ce que l'on
pouvait attendre de la grotte aux miracles, mais quoi, on est à
Lourdes et la grotte est la grotte qu'on l'appelle comme on voudra.
Voici donc la joyeuse tribu déambulant
vers une grotte à concrétions dont avait parlé George Sand bien
avant les apparitions. Quand même, le stalactite en forme de foie
de veau fit prendre conscience de la bévue et quelques fous rires
secouèrent l'assistance. Le guide dut penser que cette bande de
ploucs ne savait pas que les veaux avaient un foie...
Nous voici dehors. Pourquoi ne pas s'
élever pour dominer la situation et avoir une plus juste vision de
la topographie de l'endroit ? Tous en route pour le funiculaire
du Pic de Jer. On admira les Pyrénées , la ville de Lourdes tout
en bas dans la vallée, sa basilique, le gave qui serpentait..
Les aventures du groupe ne s'arrêtèrent
pas là.
Il commençait à se faire tard, et brusquement on se
rendit compte que le dernier train était parti. Il fallut entamer à
pied une descente, caillouteuse et parfois abrupte... Heureusement
que les journées sont longues au début de l'été ! Lorsque
les hardis touristes parvinrent à l'hôtel, fourbus, certains
malades, il faisait nuit noire.
Je ne sais plus quel était l'hôtel,
ni où nous avons mangé ce soir là . Nous avons dû nous rendre à
la grotte le lendemain matin, parce que l'ai gardé en mémoire toute
les béquilles de bois qui y pendaient alors et les centaine de
cierges qui brûlaient. Les hardis Limousins remplirent leurs
gourdes, bouteilles, flacons et autres récipients aux fontaines et
s'extasièrent sur la couleur des eaux du Gave.et les poissons
qu'elles contenaient certainement .
Les dévotions faites, empreintes de la
naïveté, et de l'ostentation, que les limousins mettaient
généralement dans leurs rapports à le religion, nous partîmes
vers d'autres lieux et en premier vers d'autres grottes, celles de
Bétharram. Comme on le voit le voyage était voué aux grottes.
Mais ce sont d'autres images ici ou là
qui ont marqué mon esprit d'enfant.
A Biarritz, il fallut aller au rocher
de la vierge, qui n'était pas loin d 'avoir la même valeur
religieuse que la grotte aux miracles...
Et puis il y eut cette scène :
l'imposante boulangère et son petit mari sortant de l'eau sur la
grand plage. Ils s 'étaient baignés en sous-vêtements, lui en
caleçon rendu translucide par l'eau et lui collant à la peau, elle
dans son monumental soutien-gorge et sa vaste culotte roses.
J'ai l'impression mais je n'en suis pas
tout à fait certain que nous passâmes une nuit à la belle étoile.
Autre chose me frappa. Nous allâmes
jusqu'à Hendaye voir l'étranger, c'est à dire coller nos visage à
la grille qui fermait à l'époque le pont international, l'Espagne
franquiste s'étant isolée du reste du monde.
Comme les autres j'écarquillai mes
yeux entre les barreaux, curieux de cet univers interdit, de ce monde
étranger si étrange que j'apercevais pour la première fois.
D'autant qu'une chose se produisit pendant que nous étions là :
deux guardia civils coiffés de leur étrange bicorne en cuir
bouilli amenèrent un homme que deux gendarmes français récupérèrent
au milieu du pont. Qui était l'homme ? Que signifiait cette
scène ? Je n'en sus jamais rien...
Il me semble que nous rentrâmes par
Arcachon, et que mon père en dévalant la dune du Pyla buta dans une
racine de pin et s'arracha à demi l'ongle d'un orteil.
Mais je ne suis plus certain que ce
soit au cours du même voyage.
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