Un jour devant chez mon oncle et ma
tante, je jouai , selon mon habitude à construire des routes dans la
poussière du trottoir, lorsqu'un camion pétaradant et fumant passa
devant moi sur la Nationale . Les véhicules à moteur étaient si
rares en ce temps là qu'ils soulevaient immanquablement la curiosité
d'un enfant. D'autant plus que celui ci transportait des hommes.
Une espèce de soldats, debout à l'arrière sur la plateforme, vêtus
d'une sorte d'uniformes en gros tissu gris bleu et brandissant des
fusils. Au moins est-ce ainsi que ma mémoire se les représente.
Je regardai le camion s'éloigner sur
la route et je repris mon jeu. Peu de temps après le camion repassa
dans l'autre sens.
Le soir à table, j'entendis pour la
première fois le mot « maquis ».
Je ne peux pas situer avec exactitude
la date des cet événement, mais je sus que ce jour là, il y avait
eu une descente à la mairie et que les maquisards avaient fait
provision de cartes et de tickets de rationnement.
Puis l'aîné de mes cousins Néné, se
mit à disparaître les soirs, et à rentrer à des heures
impossibles. Le Tonton et la Tata ne semblaient pourtant pas trop
s'inquiéter de ces absences. Il est vrai que Néné partait avec
leur voisin Mamy, un homme jovial et corpulent marchand de vins de
son état. Puis la Tata nous montra d'étranges étoffes que le
Tonton entreposait sous des piles de bois dans le bûcher .
C'était de la toile de parachutes que Néné rapportait après
certaines de ces sorties. Il y avait aussi des cordes d'une grande
solidité, bien autre chose que la ficelle de rafia dont on pouvait
disposer en ces temps de restrictions.
Quelquefois , quand j'accompagnais le
plus jeune de mes cousins dans ses expéditions avec ses copains,
nous nous faufilions dans le chai de Mamy pour y contempler les
énormes foudres et les barriques poussiéreuses et recouvertes de
toiles d'araignées et en sentir les lourdes effluves de gros rouge.
Un jour, poussant une porte qui donnait sur un appentis nous
découvrimes une grosse traction avant noire sur les portières de
laquelle on avait tracé des lettres blanches. Bien sûr je ne savais
pas lire, mais c'est ainsi, au moins je l'imagine que je découvris
mes premières lettres : FFI disait l'inscription en caractères
hâtivement tracés.
Mamy était un homme d'une grande
gentillesse mais grande gueule, amateur de sensations fortes et
parfois assez inconscient dans les risques qu'il prenait et faisait
prendre aux autres. Quelqu'un qui l'avait bien connu me parla de lui
il n'y a pas si longtemps et me raconta l'anecdote qui suit.
Mamy est dans sa traction sur la
Nationale au delà de Sereilhac . Il y a trois autres maquisards
dans la voiture, plus un, comme c'est souvent le cas sur chaque
marchepied, et enfin un septième allongé sur le toit et qui tient
une arme automatique. Et voici qu'au bout de la ligne droite apparaît
une colonne allemande. Panique. Demi tour en faisant hurler les pneus
et fuite à toute allure. Seulement manque de chance, dans
l'opération le tireur du toit est éjecté, heureusement sans mal,
dans un fossé plein d'eau où il se dissimule de son mieux ,
Miraculeusement les allemands passent sans un regard pour le
malheureux terrorisé, que la traction revenue à sa recherche
récuperera à la nuit, trempé comme une soupe et couvert
d'ecchymoses et d'égratignures.
Il arrivait aussi que des groupes de
maquisards trouvent refuge à l'usine. Là c'est Momo qui
m'entrainait vers la pièce où ils se cachaient. On nous laissait
faire. Certains ne nous regardaient pas, d'autres nous donnaient une barre de chocolat, jouaient avec nous, parfois nous permettaient
imprudemment de toucher à leurs armes.

Un jour même un irresponsable, pour
jouer nous entoura le bras d'un brassard tricolore FFI, à moins que
ce ne soit AS. Nous prîmes deux pistolets dans le coffre à jouets
de Momo et, fiers comme artaban nous allâmess parader dans la rue en
menaçant du haut de nos quatre ou cinq ans les (heureusement rares)
passants . « Halte là ! Haut les mains » Jusqu 'à
ce qu'un voisin nous prenne chacun par une oreille et nous traîne
manu militari auprès de ma grand mère qui se prit pour l'occasion
une belle avoinée pour cause de surveillance insuffisante. « Vous
avez décidé de faire fusiller tout le quartier ? »
demanda l'homme à la pauvre femme qui nous croyait en sécurité
avec la mère de Momo.
Lorsque ma mère rentra du travail je
n'en menai pas large. Encore moins lorsque j'entendis ma grand mère
dire à sa fille que j'avais « le diable dans le
ventre », et que j'allais lui raccourcir la vie de dix ans.
Quelques mots sur les maquis de la
région … Les maquis de la Haute-Vienne sont sous le
commandement d'une figure contestée de la résistance, Georges
Guingouin.
Dès 1941 celui qui deviendra plus tard
« le grand » ou le « préfet du maquis » ,
destitué de son poste d'instituteur en raison de son appartenance
au parti communiste, va trouver refuge dans les bois, près du Mont
Gargan. En septembre 41 il organise sa première opération qui lui
vaudra une condamnation aux travaux forcés à perpétuité par
contumace. Il est de plus désavoué par son propre parti qui n'est
à l'époque, pas encore entré en résistance.
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| G. Guingouin |
Cependant il organise des troupes,
d'abord sous le nom de « Francs-tireurs » puis plus tard
en adhérant à l'organisation des FTP (Francs -Tireurs et
Partisans). Après la fusion des divers mouvements de résistance
pour créer les FFI, il devient le chef des maquis en Haute Vienne
où il regroupera sous son commandement jusqu'à près de 8000
hommes.
Les opérations de harcèlement qu'ils
mèneront contre les troupes allemandes, en particulier la division
« Das Reich » de funeste mémoire, feront dire à
Eisenhower que ce fut un élément important dans la réussite du
débarquement de Normandie en raison du retard que prirent les
renforts allemands.
Au début de 1944 , les troupes de
Guingouin furent attaquées par une brigade allemande commandée par
le général Jessler. Ce fut la bataille du Mont-Gargan, un des seuls
affrontements en ligne qui opposa les troupes d'occupation et la
résisance. Pendant quatre jours, les maquisards infligèrent de
lourdes pertes à des forces infiniment supérieures aux leurs. Puis
ils se dispersèrent dans la nature.
Georges Guingouin fut aussi surnommé
le Préfet du Maquis, en fonction de son implication dans la vie des
populations vivant dans sa zone. En réglementant le prix des denrées
de base, il lutta contre le marché noir. Il s'opposa aussi à la
livraison de produits agricoles à l'Allemagne.
Promu au grade de colonel, fait
Compagnon de la Libération, Guingouin retrouva sur sa route à la
fin de la guerre tous ceux qui l'avaient combattu et qui la tempête
passée retrouvaient toute leur arrogance, et aussi les membres de
son propre parti...
Mais ceci est une autre histoire.
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