Oradour sur Glane... tout le monde
connait ce nom d'un modeste village du Limousin, dont la seule
prétention était d'être tranquille , et qui en un après midi de
Printemps bascula dans l'horreur , victime de la barbarie et de la
folie meurtrière des hommes...
Cela se passa le 10 Juin 1944. Je
rappelle brièvement les faits : un détachement du régiment
SS « der Fuhrer », appartenant à la divison SS « das
Reich » de sinistre mémoire, parvient à Oradour, boucle le
bourg, rassemble la population , enferme les femmes et les enfants
dans l'église, conduit les hommes par groupes en divers lieux,
granges, garage... extermine tout le monde, des vieillards invalides
aux nouveaux-nés, avec une incroyable sauvagerie, pille et incendie
les maisons.
La journée qui avait commencé dans
les activités ordinaires, travaux des champs, cris des enfants,
arrivées et départs du tramway de Limoges, bruits familiers des
ateliers d'artisans, se termine dans le silence de la mort, dans un
paysage de ruines fumantes.
On sait tout cela. On a officiellement
arrêté le funèbre décompte des victimes de cet après midi là au
nombre 642.
Oradour n'est pas le seul endroit où
s'est exercée cette terrible folie. Certes ici les barbares étaient
nazis, soumis au pouvoir fanatique d'une horde qui avait perdu tout
sens d'humanité. Mais d'autres avant, depuis et maintenant ont
connu, connaissent et connaitront sans doute encore de tels crimes.
Nul peuple hélas n'en est à l'abri soit comme victime, soit, pire,
comme bourreau. Le bourg du Limousin est un témoignage. Sans trop y
croire, on aurait aimé qu'il soit dissuasif.
De ce jour de folie, quelques personnes
s'échappèrent. Un certain nombre, soit parce qu'elles étaient aux
champs et s'enfuirent dans les bois, soit absentes cet après midi
là, soit qu'elles se dissimulèrent au lieu de se rendre au
rassemblement sur le champ de foire. Certaines furent retrouvées et
impitoyablement assassinées.
Du drame lui-même, il n'y eut que sept
survivants : cinq hommes, une femme et un enfant. Aujourd'hui il
en reste deux dont l'un nous intéresse particulièrement parce qu'il
est la preuve que les passions autour du drame ne sont pas encore
éteintes.
Robert Hébras, aujourd'hui âgé de
quatre vingt sept ans, n'a dû la vie qu'au fait d'avoir été enfoui
sous un amas de cadavres, d'avoir réussi à s'en extirper au moment
où la grange s'est mise à brûler et de s'etre enfui à la faveur
de l'incendie. Il a perdu ce jour là sa mère et ses deux sœurs.
Par la suite il a consacré sa vie au maintien su souvenir mais aussi
à la réconciliation entre la France, l'Allemagne et l'Autriche. Il
est Chevalier de la Légion d'Honneur, titulaire de l'Ordre du Mérite
de la République fédérale d'Allemagne, et a reçu le Prix
Autrichien pour la Mémoire de l'Holocauste.
J'y reviendrai.
On pourrait croire aujourd'hui que les
choses concernant Oradour sont apaisées, que ce n'est qu'un désastre
à inscrire dans les registres de l'Histoire, qu'une mémoire à
conserver. Mais voilà. Depuis bientôt soixante-dix ans, de
rebondissement en rebondissement , le crime sème encore division et
zizanie.
D'abord il y eut le procès à Bordeaux
en 1953. Un tribunal militaire jugea alors vingt et un suspects,
sept allemands et quatorze alsaciens, dont treize « malgré-nous »
(incorporés d'office dans la Waffen-SS) et un engagé volontaire.
Aucun commandant d'unité n'était là. Le commandant du bataillon
qui a dirigé le massacre, le SS-Sturmbannführer Adolf Diekmann ,
est mort sur le front de Normandie. Quant au général SS Heinz
Lammerding commandant la division, déjà condamné à mort par
contumace pour d'autres crimes, il vivait alors en zone anglaise et les
autorités refusèrent son extradition.
Seuls donc, une poignée
d'exécutants vont répondre du forfait. La justice militaire
prononce ses peines : deux condamnations à mort, pour un
Allemand et pour l'Alsacien engagé, le sergent Boos, les autres,
Allemands ou Alsaciens sont condamnés à des peines de cinq à douze ans de prison ou de travaux forcés. Enfin un soldat, dont il est
prouvé qu'il ne se trouvait pas sur place ce jour là est acquitté.
Dès le verdict connu, il déclenche
une énorme vague de protestations en Alsace, on sonne partout le
tocsin, des affiches sont placardées : « l'Alsace
française s'élève avec véhémence contre l'incompréhension dont
sont victimes ses malheureux enfants »... Pierre Pfimlin
demande au gouvernement de René Mayer, la suspension immédiate des
peines prononcées contre les « malgré-nous » . Quelques
jours plus tard, une proposition de loi sera déposée et votée dès
le 13 Février 1953 par l'Assemblée Nationale. Le 21 Février, les
treize « malgré-nous » rejoignent leur famille. Les
cinq Allemands seront libérés quelques mois plus tard, les deux
peines de mort seront commuées en réclusion perpétuelle en 1954.
Les condamnés par contumace ne seront jamais inquiétés.
Et du coup c'est Oradour et le Limousin
que la consternation, la tristesse, et la colère gagnent .
Evidemment , la pauvre province du Limousin n'a pas, loin de là, la
même puissance de conviction que la riche et peuplée Alsace (Sarah Farmer).
Oradour renvoie la croix de la Légion d'honneur et la Croix de
guerre qui lui ont été décernées. Aucune personnalité officielle
ne sera admise aux cérémonies commémoratives (exception est faite
pour le Général de Gaulle en 1962.)
Pendant longtemps une animosité
séparera les deux régions.
J'ai un souvenir à ce sujet. Au début
des années 90 ayant décidé de passer mes vacances en Alsace , je
louai un gîte dans un petit village près de Dambach la Ville. Le
propriétaire, avec qui nous avions sympathisé, nous expliqua un
jour, qu'ayant de la famille vers Saint-Junien, il craignait de venir
les voir, car il avait à plusieurs reprises été insulté, traité
de « boche » , voire menacé de caillassage, à la seule
vue des plaques « 68 » de sa voiture. J'avoue que j'eus
quelque mal à le croire car je n'avais jamais été au courant de
semblables pratiques. Mais l'histoire semble expliquer, sans les excuser, de semblables comportements. La colère fut longue à se
calmer.
Jacques Chirac, et la création du
Centre de la Mémoire semblèrent avoir raison de l'incompréhension
entre les deux régions. En était ce terminé ?
Hé bien il semble qu'un nouvel épisode
puisse remettre le feu aux poudres. En 1992, Robert Hébras,le
rescapé d'Oradour dont j'ai parlé plus haut, écrivit un ouvrage
intitulé : « Oradour-Sur-Glane, le drame heure par
heure », dans lequel figurait la phrase suivante : « parmi
les hommes de main, il y avait quelques Alsaciens enrôlés
soi-disant de force dans les unités SS » Cette phrase qui
pouvait prêter à polémique fut retirée par l'auteur lors des
éditions suivantes. Mais à l'occasion d'une nouvelle édition,
apparemment à cause d'une erreur de l'éditeur, elle réapparut , et
les associations d'évadés et incorporés de force du Bas-Rhin et du
Haut-Rhin portèrent plainte aussitôt. Une première fois déboutées
devant le tribunal de grande instance de Strasbourg, elles viennent
de triompher en appel. Le vieil homme a été condamné à un Euro de
dommages et intérêts et 10000 Euros de frais de procès, pour avoir
« outrepassé les limites de la liberté d'expression en
mettent en doute le caractère forcé et non volontaire de
l'incorporation de force de jeunes Alsaciens dans les unités
allemandes de Waffen SS ». La cour a estimé qu'il ne pouvait
pas se prévaloir de la qualité de témoin car à l'époque « il
n'avait pas distingué les allemands nazis des Alsaciens portant tous
le même uniforme. »
Sans commentaire n'est ce pas ? La
justice a parlé...
Aujourd'hui, soixante-huit ans après le drame, il est étrange de constater que celui qui est puni serait-ce symboliquement, pour une parole malheureuse, est une victime du massacre qui y a tout perdu.
Ca donne à réfléchir, non ?
Au mois de Février dernier (Populaire
du Centre du 27/02) Robert Hébras reçut une lettre qui disait:
«
Vous auriez mieux fait d’y rester. Pauvre con qui veut réécrire
l’histoire [...] qui accuse à tort. Vous ne méritez pas votre
carte d’identité alors que les Alsaciens se sont battus et ont
payé cher... »
En
préparant ce post et en consultant internet, j'ai été effaré par
le nombre d'écrits négationnistes parus au fil du temps, sur le
drame d'Oradour, certains directement dûs à d'anciens SS , d'autres
inspirés de l'idéologie nazie, parfois plus ambigüs et hypocrites,
s'abritant derrière de pseudos témoignages ou de prétendues
recherches.
Oradour-Sur-Glane,10
Juin 1944 :642 morts, dont 207 enfants
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