Le jeune homme passa les jours qui suivirent sa rencontre avec la femme de l'ile dans une douce euphorie, persuadé que le sort en était jeté et que la promesse de la fée s'était réalisée. Toutes les cinq minutes il consultait son portable pour voir s'il avait eu un message d'elle.
Les trois premiers jours s'écoulèrent sans rien. Il se dit que cela serait pour le quatrième puis pour le cinquième. Au sixième il commença à douter. Le septième passa à son tour. Puis le huitième. Au neuvième, dévoré d'impatience, il regagna l'île pour essayer de forcer la chance, mais il ne rencontra ni le chien, ni le cabriolet, ni sa propriétaire.
L'angoisse s'empara de lui, d'autant plus que les fonds étaient en baisse. Il commença à rogner sur la nourriture, et se fit un stock de boites de maquereaux au vin blanc pour tromper sa faim. Les sandwichs étaient devenus trop chers pour lui. Il ne pouvait plus porter ses chemises au pressing et se contentait d'en laver maladroitement le col sous le lavabo. Si les choses continuaient ainsi il allait très vite se clochardiser. Il voyait venir avec appréhension le moment de payer le loyer, et celui où serait prélevé son abonnement au portable. Un jeune d'aujourd'hui pouvait bien tirer le diable par la queue et mettre sa chemise au clou, la dernière extrémité à laquelle il en arriverait serait bien de résilier son abonnement au téléphone. D'ailleurs pour le faire encore eût il fallu connaitre la procédure que les fournisseurs d'accès gardent comme un précieux secret.
Rien n'allait donc , et la perspective des abricotiers se précisait. Sans doute avait il été stupide de s'imaginer que la femme allait se préoccuper de son sort ! Elle avait dû l'oublier sur le champ. Il comprit combien il se comportait niaisement comme un jeune provincial mal dégrossi.
Il reprit ses recherches, mais c'était sans enthousiasme. Il ne croyait plus ni en la promesse de la fée ni en l'appui de la femme.
Il regardait le journal télévisé du soir, où l'on voyait souvent paraître le mari, un petit homme excité et colérique qui était en ce temps là ministre de la police, et qui promettait de débarrasser le pays de toutes ses bandes de brigands. Il gesticulait et s'énervait contre les banlieues et les quartiers pauvres, car c'était selon lui en ces lieux que se dissimulait la crapule.
Un jour notre ami aperçut la femme, l'air inexpressif, qui se tenait derrière lui.
Ce fut au bout de quinze jours , alors qu'il ne s'y attendait plus qu'il reçut un SMS. Elle lui donnait rendez vous le matin suivant pour prendre un café au Rouquet's.
Lorsqu'il arriva devant ce grand et luxueux établissement de quartier chic, on ne peut pas dire qu'il était à son aise. Son costume fripé, sa chemise douteuse l'emplirent tout à coup de honte et il se demanda s'il n'allait pas renoncer et s'enfuir à toutes jambes. Il s'engagea pourtant dans la porte à tambour.
L'intérieur dépassait en luxe tout ceux où il avait déjà mis les pieds, vitrages, tentures, lustres, tables tout cela sentait le fric et la clientèle fortunée. Combien allait coûter le café là dedans ? Avait il seulement assez d'argent sur lui pour en payer deux, au détriment de plusieurs jours de maquereaux au vin blanc ?
Elle se trouvait à une table, tranquille, le regardant approcher. Elle lui montra le siège en face d'elle et lui tendit la main qu'il saisit, en pensant que c'était peut être une femme à qui il eût du faire un baise-main. Il ne se sentait pas vraiment à l'aise en cet endroit et face à elle. Elle commanda deux cafés. « Comment trouvez vous cet endroit ? Lui demanda -t-elle, moi j'adore. J'aime me réfugier ici, c'est une brasserie simple et populaire, on s'y sent proche du peuple . » Il regarda autour de lui. A cette heure matinale, il n'y avait que quelques vieilles fardées et garnies de pendeloques comme des arbres de Noël et deux vieux beaux en costumes trois pièces , arborant épingles à cravates, et rosettes à la boutonnière. « C'est ici, reprit-elle que mon mari fêtera son avènement, parmi les siens, ses amis, peut être en serez vous ? Qui sait ? » Intimidé il chercha une question à lui poser : « Ca vous plaira d'être impératrice ? » Un éclair , comme une contrariété, lui traversa le regard : « Non ça ne me plaira pas dit-elle, comme si elle parlait pour elle même. Je l'aiderai à monter sur le trône, et ensuite...je me casse ».
Il en restait bouche bée. Cette femme pleine de classe, cette bourgeoise, apparemment friquée qui lui faisait ses confidences... puis elle sembla revenir sur terre, lui sourit. « Parfois je me laisse aller, mais ça passe dit elle. Venons en plutôt à nos moutons. Avez vous toujours l'intention de faire de la télévision ? » Elle l'interrogea sur son projet, ce qu'il souhaitait, comment il pensait se débrouiller, elle essaya de jauger son ambition qu'elle trouva grande. « J'ai convaincu mon mari dit elle, de parler de vous à une de ses connaissances ». Elle lui tendit une carte : « voila, prenez contact de sa part à ce numéro ». Comme il se confondait en remerciements, elle ajouta : « lui et moi sommes ravis de rendre service à de jeunes talents. Peut être qu'un jour, ce sera à vous de nous rendre service, la vie chez les gens comme nous est une suite de prêtés et de rendus. Vous le comprendrez vite. En attendant n'oubliez pas vos amis, donnez nous de vos nouvelles. Ne vous en faites pas pour le café je règle. »
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