(mon grand père est le premier en bas à gauche)
Tout cela c'est la faute à Bryzon.
Bill Bryzon, l'écrivain américain dont j'ai dit quelques mots
ici-même récemment. A lire son ouvrage : « Ma fabuleuse
enfance dans l'Amérique des années 50 », je me suis
évidemment posé la question : quelle a été ma fabuleuse
enfance dans la France des années 40 ? Mais aussi :
quelles différences y avait il pour un enfant entre la vie aux
Etats-Unis et la vie en France, disons au début des années 50 ?
Pour répondre à ces questions je
vais tenter d'effectuer une plongée au fond de ma mémoire.
Je suis né juste avant la dernière
guerre, à Aixe-Sur-Vienne, gros bourg étalé sur les rives de la
Vienne, non loin de Limoges, au pied des ruines d'un chateau féodal
qui a beaucoup servi dans toutes les guerres contre les Plantagenêts,
et qui a été l'objet de quantités de sièges et de nombreuses
batailles.
De l'autre côté de la rue , en face
de ma maison natale aujourd'hui démolie st trouvait la muraille de
l'usine dite du « Château » surmontée de ses séchoirs
à claire voie . On y fabriquait à partir du kaolin, la pâte à
porcelaine qui allait alimenter les nombreuses fabriques de Limoges.
C'était alors une activité qui produisait beaucoup de poussière et
les murs de l'usine, le goudron de la rue étaient recouverts d'une
pellicule de poudre blanche qui collait au sol apres la pluie.
Mes grands parents maternels attirés
par les perspectives de travail à la ville, et sans doute chassés
de leur coin de campagne par l'exode rural s'étaient établis en ce
lieu dans les premières années du nouveau siècle. Il y avait
l'électricité, le confort moderne sous forme à l'époque, de
l'armoire à glace, et des conditions de vie dont ma mère,jusqu'à
ses derniers jours, a conservé la nostalgie.
Le paternalisme de l'entreprise, une
coopérative qui permettait aux ouvriers d'obtenir des produits
jusqu'alors quasiment inconnus dans les campagnes et considérés
comme de luxe suffisaient à leur bien-être, et je le suppose
permettaient de maintenir leur docilité en les faisant échapper
aux théories et aux mouvements subversifs qui agitaient violemment
la classe ouvrière de Limoges, la ville rouge, la grande voisine,
toujours en lutte.
ma grand mère maternelle et moi
Vint la guerre de 1914. mon grand -père
comme les autres partit pour le front. Je n'ai jamais rien su de sa
guerre si ce n'est qu'il fut prisonnier. En témoigne une photo
retrouvée au fond d'un tiroir. J'ai aussi longtemps vu à la maison
une sorte de journal ou de revue dépenaillée qui narrait les
activités d'un régiment, je ne sais pas lequel, au Chemin des
Dames, et qui a fini par disparaître comme tant d'autres choses.
Je
pourrais digresser longtemps sur l'idée que ma mère se faisait de
l'ordre, de la conservation des choses et même de la simple
propreté, mais ce n'est pas là le sujet actuel.
Il y avait aussi
une assiette bleue qui m'intriga beaucoup dans mon enfance, avec un
clocher bleu et l'inscription Kobenhavn – 1916. Je crois savoir
que c'est le souvenir qu'il en avait ramené.
A la fin de la guerre, il reprit son
activité à l'usine qui consistait à conduire le bœufs qui
allaient chercher le kaolin à la gare, de l'autre côté de la
Vienne. C'est au cours d'un de ces courts trajets qu'il fut écrasé
par un camion en 1927. Le conducteur du camion était ivre, ce qui en
ce temps là était une excuse imparable. On enterra le grand -père
et les choses en restèrent là.
Vous vous dites sans doute que si je me
revendique de Bryzon mon récit manque pour le moins d'humour.
Certes. Pensez vous que si j'ajoutais que ce fait-divers prouve que
dans la France de 1927, un camionneur bourré pouvait sans
conséquence notoire, se payer un pauvre meneur d'attelage, ça
ajouterait une note amusante ?
Quant à ma grand-mère, elle mourut
de la silicose, qu'elle appelait « son asthme », en 1948.
Jusqu'à cette date là, ce fut elle
qui s'occupa de moi. C'était une femme toute de noir vêtue comme il en allait des veuves d'alors, sèche sans démonstration
affective, mais d'une honnêteté scrupuleuse, et d'une rigueur
morale parfaite. Elle était de ces femmes de la campagne, dures au
mal et peu démonstratives dont l'affectivité bridée s'exprimait
autrement. Avec elle je n'eus peut être pas mon lot de bisous, mais
j'ai beau chercher dans mes souvenirs jamais je ne peux retrouver une
seule circonstance où j'eus à me plaindre d'une injustice ou d'une
trahison de sa part.
Au demeurant je ne pense pas avoir été
un enfant difficile. Le plus qrand mal que je lui donnai fut sans
doute de faire le tour de la table en courant derrière moi, sans
renverser la cuillère d'huile de foie de morue qu'elle préméditait
de me faire ingurgiter contre ma volonté.
Comme je viens de le dire la guerre
arriva peu après ma naissance. Je ne pense pas en avoir été le
déclencheur, parce que tous les ingrédients en étaient déjà
réunis bien avant que je ne sois conçu avec la montée du nazisme.
Néanmoins cela fait que mes premiers souvenirs sont liés à des
images de guerre.
Au premier jour du conflit, mon père,
boucher, dut s'absenter pour quelques jours, le temps d'aller passer
la râclée à l'ennemi. Finalement il resta absent cinq ans,car il passa fâcheusement vers Montmédy à un moment inopportun et on s'empressa de lui trouver d'autres activés vers Hanovre. Ma mère écoula la
viande qui restait, (je me demande encore comment elle y arriva),
tira le rideau de la boutique et parvint à conduire la camionnette
Citroën B14 chez des amis à la campagne et à la rentrer dans leur
grange sans rien accrocher..
Comme j'étais un enfant sans grands
pères, mon grand père paternel (je parlerai bientôt de ma famille
paternelle) étant lui aussi décédé précocement, je dus m'adapter
à un monde presque exclusivement féminin, ce que je résumai un
jour en faisant le tour de la table (faire le tour de la table vous
le remarquerez fut une de mes grandes activités sportives) , en
hurlant « Je suis prisonnier entre toutes ces femmes, ces
saligottes de femmes ».
Ceci on me l'a raconté souvent.
Misogyne à trois ans !
(avec mon arrière grand mère)
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