Notre Rastignac était donc parvenu à la capitale. Il découvrait son animation, l'enchevêtrement de ses rues, avenues, boulevards, carrefours, places, esplanades. Il découvrait des quartiers populaires et des quartiers luxueux aux somptueuses demeures bien protégées par des grilles. Mais tout cela ne l'avançait guère. C'était à se demander quand se produirait l'étincelle, la rencontre prévue par la fée, si ce n'était pas un mensonge, si elle ne l'avait pas oublié, si les fées existaient, si ce n'était pas le produit d'un rêve. Il s'en voulut de ces idées, car la fée si elle pouvait pénétrer sa pensée, lui en tiendrait sans doute rigueur. Il y avait une certaine naïveté infantile chez ce grand garçon.
Il se lança à la découverte du monde qui l'entourait, scrutant les visages, épiant les regards qui se posaient sur lui. Les jours passaient sans qu'aucune rencontre notable ne se produise. Il prenait son café dans des brasseries où personne ne lui adressait la parole, déjeunait d'un sandwich chez Pierre ou Jacques, arpentait les rues.
La première conclusion qu'il tira de ces expéditions fut qu'on rencontrait plein de monde dans les quartiers pauvres, une foule qui arpentait les trottoirs à toute heure du jour, mais dans laquelle il ne voyait personne qui pût l'aider, tandis que dans les quartiers luxueux, les larges trottoirs étaient quasiment vides, les rares passants étant des gens de maison ou des nounous qui promenaient les bébés.
Le jeune homme rentrait chaque jour déçu au galetas que lui avait loue la Mère Cantile, une veuve sèche et acariâtre qui ne tergiversait pas sur le paiement des loyers. Le seul avantage que comportait cet espèce de cagibi sous les toits était d'être équipé d'un poste de télévision qui permettait de passer les soirées. Ce qui intéressait surtout notre ami était les émissions de télé poubelle qui ne prenaient pas la tête et entretenaient un certain suspense. A force d'en voir, il avait fini par en comprendre les mécanismes qui n'étaient pas très compliqués, et il se disait qu'après tout si on lui confiait une telle émission il pouvait faire aussi bien, voire beaucoup mieux que ceux qui en étaient chargés. Il se demandait si ce n'était pas là sa voie.
Mais le temps s'écoulait, les jours succédaient aux jours, et son maigre pécule était en passe de s'épuiser. Son père l'avait mis en garde en lui tendant le chèque : « Voilà de quoi faire ton expérience, mon garçon, mais tu n'auras pas un sou de plus. Quand tu auras fini de le manger, tu rentres à la maison, et tu travailleras aux abricotiers comme tout le monde. »
C'est pourquoi l'inquiétude commençait à le tenailler. Il n'en était pas encore, comme le héros norvégien des romans de Knut Hansum à arracher le dernier bouton de son manteau pour l'apporter chez le prêteur sur gages, mais l'avenir commençait à sérieusement l'inquiéter.
Un matin de printemps, le soleil qui se répandait par le vasistas et faisait danser la poussière dans ses rayons, réveilla notre héros . Celui-ci interpréta ce clin d'oeil solaire comme un présage favorable pour son entreprise et décida de partir sur le champ et d'aller explorer les beaux quartiers de l'ouest. Il dévala ses six étages et sortit dans la rue. La lumière était à la fois cristalline et vaporeuse comme elle l'est aux premiers jours de beau temps. Les silhouettes des filles en étaient nimbées*. Il s'en sentit tout revigoré.
Il longea des rues, remonta la plus grande avenue de la capitale, vit, au centre d'une grande place circulaire un monument massif que mitraillaient des régiments de touristes japonais, et d'avenue en avenue, il se retrouva à traverser le fleuve. C'est du pont qu'il vit l'île, ou plus exactement la pointe de l'île avec ce petit temple si romantique, et les feuillages à foison. Comme il était très naïf, je crois l'avoir déjà dit, île pour lui, signifiait sauvages, Robinson Crusoë, pirates et tout le tintouin, et il pensa qu'il était bizarre que dans une aussi grande ville , la capitale qui plus est, il y eût encore des sauvages. Il vit qu'un autre pont un peu plus bas permettait d'accéder à l'île, aussi, s'y rendit il très impatient de découvrir ce qui se cachait derrière les arbres.
Sans doute s'attendait-il à découvrir là un village de huttes, mais il n'y avait que des résidences de luxe bien fermées derrière leurs grilles. Il déambula un moment le long des rues sans voir âme qui vive.
Il allait repartir, lorsqu'un cabriolet décapotable tourna le coin de la rue et vint s'arrêter tout juste devant lui . Une femme encore jeune et séduisante était au volant, et des sacs de grande marque encombraient la banquette arrière. Il ne manquait que des cartons à chapeaux pour que l'on se crût dans un film américain des années soixante .
Au moment où la femme ouvrit sa portière, un caniche sauta de la voiture et s'enfuit à toute vitesse en traînant sa laisse derrière lui. Sa maîtresse l'appela, mais il avait déjà disparu . N'écoutant que son courage , le jeune homme se lança à la poursuite del'animal, et n'eut pas trop de mal à le rattraper dans une rue perpendiculaire où le toutou s'était arrêté au pied d'un réverbère pour le renifler et y lever la patte. Il le ramassa malgré ses criaillements, le mit sous son bras et le rapporta à sa propriétaire. Celle ci se confondit en remerciements et demanda au jeune homme s'il voulait bien l'aider à porter toutes ses affaires à son appartement.
Elle lui empila sur les bras toutes sortes de cartons de tailles différentes, tant et si bien que cela faisait une pile en équilibre instable, et ils entrèrent dans l'immeuble .
Il n'avait encore jamais vu de résidence aussi luxueuse. La lumière, les dimensions du hall, de l'escalier, la qualité des revêtements du sol et des murs, l'ascenseur tout cela lui paraissait fastueux. Voila où il voudrait vivre, et secrètement il se fit la promesse d'y arriver.
L'appartement lui même était superbe et donnait sur les arbres à travers lesquels on voyait luire les eaux du fleuve. « Ca doit coûter bonbon un appart comme ça ! » remarqua-t-il, admiratif. - « Bof pas trop, répondit la femme , mon mari l'a eu pour une bouchée de pain quand il était maire ». Elle lui proposa un café qu'ils burent sur un coin de la table de la cuisine. Elle l'interrogea sur ce qu'il faisait, ses projets. Il lui dit qu'il aimerait faire de la télé. « Ca doit pouvoir s'arranger, dit-elle, avec votre joli minois, les filles vont se pâmer devant leur écran. Je vais en parler à mon mari. Du coup il lui demanda ce que faisait son mari et il apprit qu'il était ministre mais qu'il nourrissait de bien plus hautes ambitions.
Elle nota son numéro de portable et lui promit de l'appeler.
Il ne se sentait plus de joie, en descendant le grand escalier de marbre. Il lui semblait que sa vie venait de basculer. Dans la rue il esquissa un pas de danse.
* A ceux qui pensent que cette histoire est bien dépourvue de sexe, je répondrai : et Tintin ? Est ce que le fait de ne pas connaitre les pratiques sexuelles du petit belge a empêché son succès ? Et moi je ne connais pas la vie sexuelle de mon héros, je ne veux pas faire dans le pipoule. Et puis on n'est qu'à la page 2 !
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