Je manifeste...
Tous les jours, sur le coup de huit heures du matin, une manifestation s'organise en bas de chez moi.
Elle remonte d'abord l'avenue, puis se dirige vers le centre ville, traverse les halles, le marché, passe devant la boulangerie où je me sers habituellement, et devant le bureau de tabac où j'achète mes journaux, (j'avoue que parfois je quitte un instant le cortège pour faire mes emplettes) et se disperse une fois rendue à son lieu de départ.
Se disperse est un bien grand mot, car pour le moment ce n'est qu'une toute petite manif. Une micro manif puisqu'elle ne compte qu'un seul manifestant, moi... Mais c'est déjà un début, le début d'une révolte, voire d'une révolution.
C'est une manif silencieuse . Il n'y a ni banderole, ni cris, ni slogans, ni objets métalliques pour faire un boucan d'enfer.
C'est voulu. J'ai pensé à déplier une banderole, à hurler ma colère, à prendre un faitout et son couvercle pour les cogner l'un contre l'autre. Mais finalement je me suis dit que si je voulais continuer à battre le pavé jusqu'à ce que j'obtienne satisfaction, mieux valait rester discret. Ils ont tellement de haine contre tous ceux qui ne pensent pas dans la norme qu'ils ont fixée, qu'ils seraient fichus de m'interner en hôpital psychiatrique.
Donc je défile en silence. Cela ne m'empêche pas de brandir intérieurement ma colère, mon écoeurement, mon indignation. Cela ne m'empêche pas de hurler tout bas mon slogan : « Qu'ils s'en aillent tous ! ». Entre l'indignation de Stéphane Hessel et le « qu'ils s'en aillent tous » de Jean-Luc Mélenchon,on voit bien quels sont les inspirateurs de ma révolte.
Qu'ils s'en aillent tous, tous ceux de ce régime d'avionneurs sans foi ni loi où la bêtise et l'incompétence le disputent à l'indécence. Et que s'en aille en premier leur chef, le président des riches... Que s'en aillent les banquiers véreux, les chefs d'entreprises dont l 'avidité bouffe les vies de millions de gens.. . Et les pseudo experts en économie, et les journalistes couchés... Qu'ils s'en aillent, et s'ils ne comprennent pas ce que veut dire s'en aller, qu'ils se cassent, qu'ils se barrent, qu'ils dégagent, qu'ils giclent, qu'ils gerbent, qu'ils déblaient.
Avant-hier une jeune fille qui marchait du même pas que le mien m'a suivi à quelques pas derrière moi. J'étais content, je me suis dit « le nombre de manifestants a doublé ce matin ». Mais au bout de la rue elle a tourné à gauche alors que l'itinéraire du cortège filait tout droit. Quand même , elle se trouvait juste là au moment où je fais le décompte des manifestants. Cela faisait donc deux pour moi et un selon la police qui compte plus loin. Voilà comment s'expliquent les différences.
A y regarder de plus près , je pense que je ne suis pas le seul à manifester en fait. Il suffit de voir les visages fermés des gens que je rencontre, il suffit de deviner les poings serrés dans les poches, les poings mentalement brandis, - et les automobilistes, tiens, vous avez vu les têtes des conducteurs à leur volant ? - Des milliers, des centaines de milliers de manifestations, de colères rentrées, de mécontentements sourds, de désespoirs secrets...
Le seul problème, c'est qu'ils vont dans tous les sens sans coordination. Ils ne partent pas comme moi du pied de mon immeuble et ils ne reviennent pas sur mon parking là où la manifestation se disperse.
Nous sommes tous des auto-manifestants.
Mais qui sait. Peut être que cela viendra un jour.
En attendant, chaque matin quand je rentre je viens vite voir si par hasard ils n'auraient pas compris. Je ne me fais pas trop d'illusions mais on ne sait jamais.
Pour le moment ils ne bougent pas, ils se protègent, ils se soutiennent entre eux. Ceux ci ce sont des coriaces. Ils n'ont même pas le courage de leur copain Ben Ali, qui lui, au moins, s'est enfui, reconnaissant ainsi ses turpitudes.
Il va falloir que je marche beaucoup pour arriver à mes fins.
Demain matin je recommencerai.
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