Le tour de France a jalonné mes étés d 'enfant, et d'adolescent au rythme de l'accordéon de Yvette Horner ou de Jean Ségurel. Il rimait avec grandes vacances, même si les premières étapes se déroulaient souvent en ces temps incertains qui allongeaient les récrés à l'ombre des tilleuls, détendaient les relations avec les maîtres, ramenaient les vieux chants guerriers: « les cahiers au feu, le maître au milieu »... Je le suivis comme lanceur d'abord puis pendant quelques années au centre du brasier ...
Lorsque sonnait la cloche je me précipitais à la maison pour allumer le vieux poste à lampes où j'essayais de capter la voix de Georges Briquet commentant avec verve et lyrisme les derniers moments de l'étape... Il était question des exploits prodigieux, des forçats de la route, de la sorcière aux dents vertes qui mordait souvent.
Tout en écoutant je feuilletais Miroir Sprint, version sépia le Mardi et verdâtre le Vendredi à moins que ce ne fût l'inverse..Les photos revenaient d'une année sur l'autre : le peloton traversant la Dordogne en file indienne sur le vieux pont métallique de Cubzac, le peloton dans la Beauce avec les inévitables bottes de paille en premier plan, la foule dans l'Aubisque, l'échappé solitaire en danseuse, boyau noué sur les épaules dans le décor dantesque du Galibier...
La fin des années 50 vit arriver les premiers postes à transistors et l'on pouvait s'étendre enfin dans l'herbe pour entendre chanter les exploits de ses champions favoris, avant que la télé ne nous « rescotche » à l'intérieur devant ses images sautillantes et neigeuses où l'on voyait filer d'incertaines silhouettes... et Chapatte avec son style à lui avait remplacé Briquet, mais l'enthousiasme, la dithyrambe face à l'exploit, toujours fabuleux étaient les mêmes. Comme ils le sont toujours restés en dépit de tout...
Si je me laisse aller à mes souvenirs il me revient des noms au hasard, Coppi, Bartali, Bobet bien sûr, Géminiani et aussi Koblet ou Kubler, et Bahamontès l'aigle de Tolède, Charly Gaul, mais aussi allez savoir pourquoi, Marinelli, Le Guilly, Hassenforder...
De temps à autre , le Tour passait devant la maison. La principale image qui me reste de l'un de ces passages est celle de Fausto Coppi en jaune, entouré de la squadra azzura, et l'allure d'un seigneur... L'étape ce jour là avait été gagnée par le régional Jacques Vivier qui la veille était allé quémander au Maestro une autorisation de sortie.
Et des histoires, parfois bizarres parfois faisant douter... Le brave Zaaf échappé et retrouvé endormi dans un fossé... « Ah ce vin rouge! » L'ennui était que le coureur en question était un musulman pratiquant et que j'ai lu récemment que le vin rouge n'avait rien à voir à l'affaire... Mais déjà on avait préféré laisser planer le doute sur sa pratique religieuse plutot que d'avouer la prise de certaines pilules... Il y eut la terrible défaillance de Malléjac dans l'ascension du Ventoux en 1954 , et plus tard bien entendu le drame de Tom Simpson, mais déjà ma confiance de spectateur était bien entamée...
Bien sûr toute compétition depuis l'origine de l'humanité entraîne des tricheries... Je connaissais deux coureurs cyclistes, locaux. Le premier avait été suspendu pour avoir emprunté un chemin de traverse lors de la course annuelle de son village, quant à l'autre je l'avais vu préparer son bidon à la veille d'un championnat régional, et si cela sentait l'anis il n'y avait pas que du pastis dans les composants...
Mais bon, tout cela était anecdotique, et même si j'avais éprouvé des soupçons en 1956 à propos de la surprenante victoire du médiocre Walkowiak, surgi du néant pour y retourner aussitôt ces évènements isolés n'étaient pas suffisants, loin de là pour remettre en cause ma passion du Tour.. Les années se succédaient, et chaque fois les journalistes repartaient avec le même langage fleuri et la même grandiloquence sans jamais soulever l'idée d'un quelconque problème., chantant les louanges de ces géants de la route, les exploits prodigieux, les grandes chevauchées épiques...
Je crois qu'Anquetil m'ouvrit les yeux. A trop en faire... Ses accumulations de victoires, cette inextinguible soif de performances, cette monopolisation des succès, et pour finir en 1965 la victoire couplée dans le Dauphiné et Bordeaux Paris ( le départ de cette dernière course avait lieu avant l'aurore le lendemain de l'arrivée de la précédente après une nuit de voiture), c'en était trop...
Bien sûr il y avait aussi l'effet du duel avec Poulidor... Ici nous étions à fond pour Poupou, Poupou le propre, le net, face à celui qui y touchait... nos coeurs battaient encore dans le fameux duel du Puy de Dôme... Poulidor le maladroit nous désolait parfois : « Monsieur Magne m'a demandé d'attaquer demain dans le Ballon d'Alsace » Résultat un paquet de minutes dans la vue. Poulidor : « J'ai eu la fringale! » Ah cette fringale!
Puis les temps changèrent... La tricherie d'artisanale devint industrielle... Ni Merckx, ni Hinault ni Fignon ne parvinrent à m'enthousiasmer. Désormais la victoire était tirée au cordeau, minutée à la seconde, il n'y avait plus de place pour la fringale ni l'erreur... Des entreprises se spécialisaient dans l'exploitation des gains au Tour de France, sans romantisme ni panache, avec le seul souci du profit et de l'efficacité...
Il y eut encore Indurain, une attitude, un comportement qui purent faire rêver un peu... Et puis, la suite est connue, de scandale en scandale... Il y a longtemps, depuis les débuts d'Armstrong que ma télé reste éteinte...
Dans quelques jours un autre Tour va partir. Tout le monde va nous jurer la main sur le coeur que cette fois... ce sera le Tour du renouveau, celui de la propreté un Tour pur net et ouvert... Peut être le record de vitesse sera t il à nouveau battu ( c'était vraiment idiot de se doper pour des performances inférieures)... Et les journalistes , qui ne sont jamais au courant des tricheries, continueront à saluer «le fabuleux exploit » .
Il y aura sans doute un peu moins de monde au bord des routes... Quoi que... Il fait beau, on est en vacances, le spectacle est gratuit... « Allez viens Minouche, on va aller leur gueuler: tous dopés!!!»
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