En ce temps là, les animaux de la basse-cour décidèrent d'élire un Chef.. Les poules qui représentaient la majorité de l'électorat, se mirent à caqueter à qui mieux mieux, en comparant les mérites respectifs de l'un ou l'autre coq. Les dits coqs , le jabot gonflé d'importance et d'ambition péroraient, tenant réunion sur réunion , chacun certain d'être élu. Entre eux ils se dévisageaient d'un oeil courroucé, et de temps à autre se volaient dans les plumes à coups de bec et d'ergots, chacun prétendant être le seul à pouvoir par son chant, faire lever le soleil...
Les oies quand elles apprirent la nouvelle de l'élection prochaine se mirent à faire le tour de la clôture en défilant d'un pas martial sous le regard du vieux jars qui les commandait depuis longtemps.
Les canards continuèrent à se diriger vers la mare en clopinant. Leur seule préoccupation était que le nouveau Chef fasse pleuvoir tres vite pour que leur espace de jeux ne s'assèche pas comme l'année précédente.
Le canari , de sa cage accrochée au volet de la ferme fit savoir de sa petite voix claire qu'il était le seul à pouvoir rassembler et qu'il voulait bien se porter candidat, ce qui fit rire tout le monde aux larmes...
Les coqs prétendaient tous à la magistrature suprême, s'envoyant des injures, se battant, plus arrogants les uns que les autres Finalement, voyant qu'ils ne parviendraient pas à se mettre d'accord, ils finirent par faire mine d'accepter la candidature d'une dinde ambitieuse. Ce n'est pas pour autant que leurs querelles et leurs combats cessèrent.
Etre une dinde n'avait pas en ce temps là l'aspect péjoratif que l'on connaît aujourd'hui, mais peut être que cette image désastreuse est en partie liée à l'histoire présente.
Pendant ce temps là, les renards tenaient conseil à l'orée du bois sous l'autorité du chef renard, un renard d'une espèce peu commune, autoritaire, hargneux et bas de taille, qu'on disait venu de loin au delà de la forêt, mais qui avait su à force d'ententes, de trahisons et de conspirations établir une autorité sans partage sur tous les renards de la contrée. Goupil-chef, tel était son nom prit donc la parole au milieu d'une trentaine de paires d'yeux brillants et affamés: « Amis renards, la situation est difficile. Nous n'avons plus accès aux basse-cours bien protégées part des grillages de plus en plus solides, bien gardées par des chiens féroces qui nous donnent la chasse, , et bientôt vous le verrez, les volailles seront surveillées par des caméras que les fermières manipuleront de leurs cuisines... C'est intolérable. Il faut que nous réagissions sinon nous n'aurons plus que de maigres mulots à nous mettre sous la dent. J'ai donc élaboré une stratégie que je vais vous exposer. J'ai décidé de me présenter à l'élection de chef de la basse-cour! » Un murmure parcourut la troupe des renards, les diodes luminescentes de leurs prunelles clignotèrent pendant qu'ils réfléchissaient. Une voix se fit entendre: « tu as décidé de te laisser pousser des plumes? » Il y eut quelques rires vite réprimés par le regard haineux qui fusilla l'insolent. « Tu as quelquechose à dire Goupil-du-bord-de-l'étang? » glapit le chef.. Mais l'autre baissa le museau, la queue entre les pattes... « Bon reprit Goupil-chef, puisque les objections sont levées, nous allons passer à l'approbation. Qui est contre? Personne? Je me déclare investi de ma mission et je vous remercie de me l'avoir confiée. Allez en route! »
La première difficulté pour le chez renard fut de rencontrer les chiens de la ferme. Tant de méfiance les séparait depuis des générations, le chien responsable de la sécurité, un grand bâtard jaune et efflanqué qui regardait d'un air sournois en gromelant entre ses dents, ne cessait de harceler les renards dès qu'il en apercevait un, aboyant avec fureur, déclenchant l'alarme dans toute la ferme, et se lançant à la poursuite de l'animal sauvage jusqu'à la lisière du bois. Les deux autres étaient des chiens de chasse, en général attachés, qui se contentaient d'accompagner le premier dans ses hurlements. C'était donc le grand jaune qu'il fallait circonvenir.
Le renard chef fit venir un vieux renard du fond du bois, dont la queue avait blanchi avec l'âge et pouvait faire office de drapeau blanc, et lui confia la mission de prendre contact avec le chien jaune. Quelques jours plus tard le vieux renard trouva l'occasion d'approcher le chien jaune. Les maîtres de la ferme étaient absents, la fermière partie en ville et le fermier dans une chasse lointaine avait emmené les deux autres chiens. Seul restait le chien jaune, attaché dans la grange au bout d'une longue chaîne...
Le vieux renard alla prévenir de cette situation le renard chef qui lui dit « Allons y. »
Les deux renards s'avancèrent précautionneusement jusqu'à l'entrée de la grange, Goupil-du-fond-du-bois en tête, panache blanc dressé... Mais à peine s'encadrèrent ils dans la porte de la grange que le molosse furieux s'élança vers eux, tirant sur sa chaîne à la rompre dans un affreux bruit de ferraille et d'aboiements... Les deux renards effrayés reculèrent précipitament pour se mettre hors de portée... « Attends, attends avant de t'énerver, cria le chef renard, tu vois bien que tu ne peux pas nous atteindre, tu ne risques que te faire mal! Nous venons faire la paix avec toi , signer un armistice... » Le chien se calma un peu mais demeura en position défensive, prèt à bondir, les crocs découverts par un rictus... « Expliquez moi ce que vous voulez et dégagez, grogna-t-il – Nous voulons faire la paix, dit le renard, nous sommes de la même espèce, presque frères et nous en avons assez des batailles qui nous divisent. Nous venons donc te proposer un marché. Nous sommes très effrayés par tes aboiements et ceux de tes congénères quand nous passons dans le coin... Nous voudrions donc que vous cessiez d'aboyer et d'ameuter tout le monde . - Je vous vois venir dit le grand chien, mais notre rôle est de protéger la basse-cour. - Comment veux tu que nous attaquions la basse cour rétorqua le renard, tu as vu ces grillages? Et la protèges tu lorsque tes patrons viennnent y prélever leur part de volaille? Et pourquoi, nous qui sommes de la même espèce que toi, n'aurions nous pas le droit de nous nourrir décemment? Pourquoi ne pourrions nous pas prélever notre dîme, les quelques poules imprudentes qui s'échappent de temps à autre? Je vais te dire mieux, nous allons faire un traité,. En contre partie du fait que désormais vous nous ignorerez si vous nous apercevez, nous nous engageons à vous laisser à portée toutes les carcasses des animaux que nous aurons chassés pour que vous puissiez en croquer les os. Cela vous changera de ces atroces pâtées industrielles pour chiens dont on vous nourrit. - C'est vrai qu'elles sont atroces dit le chien, ta proposition est alléchante, mais les os ça n'est pas suffisant... - Et que dirais tu, proposa le renard ,si nous acceptions , pour chaque gibier mangé et dont nous poserons la carcasse en évidence dans un endroit convenu entre nous, que nous laissions une cuisse intacte qui vous serait ainsi réservée? » Une lueur de convoitise passa dans le regard du chien. « Bon dit il... mais si nous n'aboyons plus nos maîtres vont s'étonner... -Qui te dit de ne plus aboyer? Dit le renard... tu peux aboyer après les pies, après le facteur, te ruer en hurlant sur les voitures qui passent sur la route, que sais-je...L'accord ne porte que sur les renards.
C'est ainsi que le marché fut conclu... En revenant vers la forêt, le renard chef dit au vieux renard « Tu vois, c'est ainsi qu'on manipule l'information! ».
A partir de ce jour, les renards purent s'approcher tranquillement de la clôture et faire campagne à travers le grillage. Au début les poules effrayées entraînaient leur progéniture à l'autre extrémité de la basse-cour mais elles s'habituèrent peu à peu... A vrai dire, ce renard qui savait ce qu'il voulait les fascinait plus que la dinde censée les représenter et qui n'avait pas beaucoup d'idées sur le rôle de chef d'une basse cour, et même que les coqs chamailleurs qui ne cessaient de se quereller, tellement suffisants et gonflés de leur importance. Lorsque le renard annonça sa candidature, le grand coq cou pelé le prit de haut: « Et de quel droit? Vous ne faites pas partie de la basse-cour, vous n'avez pas de plumes, vous êtes laid sur vos pattes courtes... - Pourquoi pas dit le renard beau parleur, je ne porte certes pas de plumes et il m'arrive de manger des volailles, je ne le nie pas, mais juste le nécessaire et du coup je suis un des plus intéressés a la vie de votre communauté. De plus comment voulez vous vous défendre, enfermés que vous l'êtes derrière vos grillages? Moi je suis à l'extérieur, je peux aller trouver qui de droit, quand je le décide, et parler pour vous tous... J'entends les autres candidats, cette dinde que je repecte, ou le vieux jars, ils ont quelques idées mais comment les mettront ils en application? Où est leur liberté de manoeuvre?
Après avoir tenu meeting pour l'ensemble, se postant tour a tour aux angles de l'enclos il s'adressa aux espèces en particulier... Aux oies il dit qu'il partageait leurs idées patriotiques et que leur pas martial serait le pas officiel des défilés militaires dont elles seraient chargées... Aux canards il s'étonna qu'ils n'eussent jamais vu la mer et leur promit un voyage pour qu'ils puissent patauger dans la grande bleue. Aux poules et aux coqs, ceux ci faisant mine de ne pas l'écouter , mais passant et repassant d'un air dédaigneux en tendant l'oreille, il proposa de venir le rejoindre. « J'ai l'esprit ouvert dit il, pas plus que je ne me couvrirai de plumes pour vous tromper, je ne vous demanderai de vous vêtir de poils. Mais le moment est venu du changement, de la fraternisation des peuples que nous formons. Je vous donnerai des mangeoires dorées, pleines de graines fabuleuses venues de pays qui n'existent pas... » il se rendit compte de sa bourde dès qu'il l'eut prononcée , emporté par son élan oratoire, mais personne ne releva...
Le discours commença à faire son chemin... On se détourna de la dinde candidate . Les coqs censés la soutenir trouvaient tous les prétextes pour être absents de ses réunions. D'ailleurs chacun reprochait aux autres le choix imbécile qu'ils avaient fait en la désignant, et tous étaient persuadés que la seule solution pour l'emporter eût été que lui seul soit candidat.. Seulement il était trop tard pour changer. Il y eut moultes échanges de coups de bec et arrachages de plumes...
La crise éclata aussi chez les oies qui laissèrent tomber le vieux jars qu'elles avaient pourtant si longtemps vénéré.
Un soir au moment du coucher, on vit un vieux coq prétentieux et deux poulets de grain presque élevés, qui par on ne sait quel prodige d'acrobatie, s'étaient juchés sur le toit d'un appentis... De là -haut, ils dominaient la cour , la cloture et même la campagne environnante..
« Que faites vous ? Leur demanda le grand coq cou-pelé qui s'apprêtait à chanter le coucher du soleil... Allez descendez, il est l'heure de gagner les poulaillers. -Non dit le vieux coq prétentieux, nous sommes montés ici pour réfléchir, nous en avons assez de vous, de vos stupidités.... » La nuit tomba, tous les volatiles allèrent se coucher sauf les trois énergumènes, mais le lendemain au lever du jour ils avaient disparu.
Dans la matinée, on les vit sortir du bois, ils s'avancèrent jusqu'à la clôture et expliquèrent qu'ils s'étaient rangés du côté du renard parce que lui seul était capable de les gouverner et de tenir ses promesses. Ils avaient été magnifiquement accueillis par les renards et faisaient désormais partie de l'état-major renard. Personne ne leur avait montré les crocs bien au contraire et ils avaient maintenant la preuve que nul renard ne songeait à dévorer les volailles.....Les autres coqs ne trouvèrent rien à dire. Cette évasion les énervait beaucoup et ils s'en rejetaient mutuellement la responsabilité...
Au même moment , Goupil-chef était en train d'expliquer à quelques uns de ses lieutenants que son projet était en train de réussir au-delà de ses espérances, les « judas » qu'il avait personnellement interrogés à leur arrivée l'avaint mis au courant de quelques faiblesses du grillage, deux endroits en particulier où il suffirait de gratter un peu le sol pour se glisser sans grande difficulté sous la clôture... A condition d'être prudents, l'approvisionnement en viande fraîche était assuré pour un bon moment. Mais pour l'heure , il fallait attendre l'élection qui approchait et continuer à faire mine de fraterniser.
L'élection arriva et notre histoire se termine là.
Pourquoi?
Parce qu'il n'y a aucune surprise à attendre et que tout se termina comme prévu.
Mais il y a une morale.
Chez les animaux comme chez les hommes, chacun fait son travail, les traîtres, les menteurs et les beaux parleurs qui sont souvent les mêmes.
La naïveté crédule est toujours punie, mais aujourd'hui comme autrefois, la vérité ne se révèle que trop tard et l'on n'est jamais au bout de ses (mauvaises) surprises.
Les personnages de cette histoire sont tout à fait imaginaires et nul ne pourrait les rapprocher de personnages existants (enfin chacun fait ce qui lui plaît.)
1 commentaire:
la historia se repite.. pero llegará un día en que la moraleja cambie'.. en que nos demos cuenta!
me encantó, yves.. identifique los mismos personajes en mi país.. cualquier parecido con mi realidad.. es solo coincidencia! =)
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